Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus. L’élément noir est aujourd’hui prépondérant dans ces deux îles, et ce n’est pas un élément de progrès. Depuis que les colonies ont été admises à se faire représenter à la chambre des députés et au Sénat, les noirs, étant de beaucoup les plus nombreux, sont devenus les maîtres des élections. Leurs mandataires sont voués à leurs intérêts, et l’administration des colonies est dans leurs mains. Or cette race a peu de besoins, et elle est guidée par deux sentimens également impérieux : l’horreur du travail et la haine des blancs. Elle est en grande partie parvenue à expulser ceux-ci. Il y a longtemps que les Européens ne vont plus se fixer aux Antilles, et les créoles qui ont encore des propriétés dans ce pays, tâchent de les vendre pour venir vivre en France. Les métiers, les petites industries, le commerce de détail sont entre les mains des mulâtres et des Chinois, qui ont tous déserté les campagnes. Quant aux Indiens, au nombre de 36,000 environ pour les deux îles, ils sont répartis sur les habitations et ne comptent pas. Les noirs, affranchis de la tutelle des blancs, tendent à retourner à cet état de demi-sauvagerie qui parait convenir à leur race et dont l’île de Saint-Domingue nous offre le spectacle navrant. On ne peut pas mettre le pied dans cette colonie, que nos ancêtres avaient faite si florissante, sans éprouver un serrement de cœur.

Il en sera vraisemblablement ainsi de la Martinique et de la Guadeloupe, si nous les abandonnons à elles-mêmes ; mais nous n’en avons pas le droit. C’est une partie de la France que nous ne pouvons pas séparer du grand tout. Les convertir en départemens, comme elles le désirent, serait pour la métropole assumer inutilement une lourde charge ; mais nous devons continuer à les administrer. Elles ont encore de grandes ressources. On y a compris qu’il fallait renoncer à planter exclusivement de la canne, qu’il était nécessaire de varier et d’alterner les cultures, d’améliorer l’outillage et de consacrer une partie du sol à la production des denrées alimentaires qui viennent encore du dehors. La division de la propriété, qui a été la conséquence de l’abolition de l’esclavage, a rendu cette transformation facile. La métropole, de son côté, a donné aux colonies la liberté presque absolue du commerce et la disposition entière de leurs revenus. C’était le point principal, et maintenant elle ne doit plus y avoir d’autre rôle que celui de maintenir l’ordre, la sécurité pour les personnes et pour les biens ; de tâcher de faire l’apaisement entre les différens élémens de la population en maintenant la balance égale entre elles ; et de les diriger de son mieux dans l’évolution qu’elles doivent inévitablement subir.

À part la ville de Cayenne et les petites îles du Salut, la Guyane tout entière n’est qu’un grand marais de 500 kilomètres de