Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bientôt d’accord ; mais il est des choses que je ne ferai jamais accepter à mon parlement ; si je vous cédais sur ce point, il ne me le pardonnerait jamais. »

C’est surtout dans les petits états du Balkan, exposés à tant d’ingérences indiscrètes et tyranniques, qu’un souverain doit tenir à rejeter sur une assemblée la responsabilité de ses résistances et de ses refus : « Ce que ces nouveaux petits princes d’Orient ne semblent pas comprendre, écrivait le diplomate cité par M. de Laveleye, c’est qu’une constitution, si elle gêne quelque peu leurs mouvemens à l’intérieur, est cependant leur plus grande sauvegarde contre l’intrusion de puissans et envahissans voisins dans leurs affaires. Quand un prince est omnipotent chez lui, que peut-il dire au représentant de l’Autriche, de l’Allemagne, de la Russie ou de la Porte qui vient demander plus ou moins impérieusement une faveur ou un service ou soutenir la revendication d’un prétendu droit ? Au contraire, quand on a une bonne petite constitution par devers soi, on répond, les larmes dans la voix : « Bien fâché, mais ce n’est pas de mon ressort ! Vous savez qu’on a limité mes pouvoirs ; voyez le ministre des affaires étrangères, le parlement. » Le prince Alexandre, qui devait fuir comme la peste les responsabilités apparentes, a paru s’appliquer à les rechercher ; il a pris plaisir à se découvrir, à s’exposer, il a abattu de ses mains ses défenses naturelles. Il n’avait pas l’esprit assez politique pour savoir s’appuyer sur ce qui lui résistait et se servir de ce qui le gênait.

Il a commis une imprudence plus dangereuse encore en s’abandonnant à ses généreuses ambitions, en oubliant ses origines et le sang russe qui avait coulé en abondance sur les champs de bataille de la Bulgarie et de la Roumélie. Il ne s’est pas dit que, pour posséder longtemps en paix un trône qui avait coûté si cher, il était tenu de ménager les intérêts et l’ombrageux orgueil de son auguste protecteur, lequel avait cru trouver dans un cadet de Darmstadt le docile instrument de ses desseins. Il aspirait à un rôle plus glorieux que celui de protégé de la Russie ; il a voulu être un vrai prince de Bulgarie, il a pensé que la reconnaissance de son peuple serait la meilleure garantie de son pouvoir et de son avenir ; il a cherché à rétablir sa popularité, compromise par ses coups de tête, en déclarant bien haut que les Bulgares avaient le droit de s’appartenir. Il a oublié que l’ingratitude n’est permise qu’aux forts.

Certains publicistes de grand mérite, animés des plus nobles sentimens et qui sacrifient volontiers la politique à la philanthropie, estiment que les petits peuples récemment émancipés doivent s’opposer résolument à toute ingérence de l’étranger dans leurs affaires intérieures, que donner et retenir ne vaut, qu’une grande puissance qui affranchit des populations opprimées est tenue de respecter religieusement leur indépendance et leurs droits, qu’elle aurait grand tort de