raisons, dont voici les plus fortes. En premier lieu, si Schopenhauer est un pessimiste, et un pessimiste sincère, il n’est ni le premier, ni le plus original, par conséquent, ni même le plus éloquent. Quelques accens qu’il ait trouvés pour maudire l’existence, de quelques traits forts et profonds qu’il ait marqué « les douleurs du monde » ou u la misère de l’homme, » Leopardi, dans ce siècle même, Swift au XVIIIe, ou Pascal avant eux, sans remonter plus haut dans l’histoire, en ont trouvé bien d’autres que Schopenhauer. Et, ni dans le Monde comme volonté et comme représentation, ni dans les Parerga et Paralipomena, je ne vois rien, ou peu de chose, pour la sincérité de la plainte ou l’amertume de la dérision, pour la violence de l’invective ou l’âpreté de l’ironie, qui soit comparable à telles pages des Voyages de Gulliver ou à certains fragmens des Pensées. En second lieu, je n’admets pas, comme le veulent pour lui ses disciples, comme il en a lui-même plusieurs fois affecté la prétention, que Schopenhauer ait le premier systématisé le pessimisme, et encore bien moins qu’il lui ait donné ce que l’on appelle une base métaphysique. Dirai-je que son pessimisme est extérieur ou excentrique à sa métaphysique ? trop facile à en détacher ? entièrement et absolument indépendant de son système ? On peut prouver du moins qu’il n’en fait pas partie constitutive. J’ajoute que, si peut-être, avant qu’on eût tracé de cercle, tous les rayons étaient égaux, avant qu’il y eût des hommes, il ne pouvait y avoir de jugement sur la vie ; elle n’était ni mauvaise ni bonne, elle n’était pas ; et ceci revient à dire que le pessimisme ne saurait avoir de base métaphysique, n’étant et ne pouvant être qu’un jugement sur la vie. Enfin, puisque l’on s’autorise du pessimisme de Schopenhauer pour refuser d’étudier de plus près Bon système, je tiens à montrer que son originalité véritable et durable est ailleurs. En même temps qu’un pessimiste, Schopenhauer est autre chose ; son pessimisme, en servant sa fortune, a masqué sa valeur ; et c’est pourquoi je ne prendrai point Schopenhauer par son pessimisme.
Ce que j’aime d’abord de sa philosophie, c’en est ce qu’il appelait lui-même le caractère expérimental : on dirait réaliste, et on dirait mieux, si ce malheureux mot, en philosophie comme ailleurs, ne prêtait trop à l’équivoque. Le système de Schopenhauer, en un certain sens, et par comparaison à ces a magnifiques palais d’idées » qu’aimait à construire l’ancienne métaphysique, est à peine un système ; il est fait des morceaux, des débris de vingt autres ; on en donnerait volontiers le texte proprement dit ou le corps, pour les Appendices et les Complémens ; mais il est avant tout et surtout d’un observateur des mœurs et de la vie. La métaphysique s’égarait dans les espaces ; elle agitait avec Hegel des questions qui paraîtront un jour aussi ridicules à nos descendans que les problèmes accoutumés de l’ancienne scolastique : « Utrum, la froidure hibernale des Antipodes,