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France et la Russie s’en aller à vau-l’eau, et n’étaient pas sans espérance d’obtenir de notre nouveau gouvernement l’abandon d’une conquête qui n’était pas son ouvrage. Le général Baudrant fut donc très bien reçu et, comme il n’avait qu’à enfoncer une porte ouverte, son savoir-faire ne fut pas mis à forte épreuve.

Les trois grandes cours du Nord devaient être plus difficiles à manier. Restées implicitement dans les termes de la Sainte-Alliance, même en face de la Restauration, notre coup de tête ne pouvait guère que resserrer leur intimité. Ce n’est pas qu’elles eussent vu de bon œil les projets de Charles X : tout au contraire, elles ne lui avaient épargné ni les bons conseils, ni les avertissemens salutaires ; elles ne s’étaient pas fait faute de lui déclarer qu’il ne devait compter, de leur part, sur aucun appui. Mais une fois l’événement accompli, il ne s’ensuivait nullement que la reconnaissance du gouvernement révolutionnaire (il faut bien se servir du mot propre) fût de plein droit et allât toute seule. Outre la répugnance, pour des rois de vieille roche, d’admettre dans leur confrérie un nouveau-venu, disons mieux : un parvenu au moins suspect, il y avait la crainte de l’exemple et le danger de la propagande. Il fallait s’attendre tout au moins à ce que la reconnaissance n’eût lieu que de concert entre les trois alliés et après entente préalable. Jusque-là, nous restions sur le qui-vive.

Le général Belliard fut envoyé à Vienne ; le comte de Lobau (l’un des membres de la défunte commission municipale) à Berlin ; le général Athalin, aide-de-camp du roi, à Saint-Pétersbourg.

Leurs instructions étaient identiques. Elles se réduisaient à ce peu de mots : si l’Europe ne nous suscite pas de difficultés au dehors, nous emploierons tous nos efforts à maintenir en France le régime monarchique et à réprimer toute propagande. Pourvu qu’on reconnaisse à la France le droit de disposer d’elle-même, elle respectera les traités qui forment désormais la base de l’ordre européen. Ce langage fut bien accueilli à Berlin, où le caractère et le nom du comte de Lobau étaient bien connus et généralement respectés ; il le fut mieux encore à Vienne. L’Autriche s’engagea, de son côté, à ne permettre sur son territoire aucune intrigue contre le nouveau gouvernement français ; tout aussi peu celles qui proviendraient de la famille déchue, dans le cas où cette famille y viendrait chercher un asile, que celles qui auraient pour but le jeune duc de Reichstadt. M. de Metternich alla jusqu’au point de nous honorer de ses bons conseils : « Il y a, dit-il au général Belliard, deux nobles entêtés dont, vous et nous, devons également nous défier, bien qu’ils soient gens d’honneur et nobles gentilshommes : le roi Charles X et le marquis de La Fayette. Vos journées