Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont plusieurs peuvent être apocryphes, mais dont le plus grand nombre est vraisemblable ou concorde avec d’autres preuves. D’autres lui rendent indirectement le même témoignage ; ainsi l’auteur de la Fameuse comédienne, dont la haine acharnée contre sa femme s’arrête devant lui. Ses admirateurs posthumes avaient donc beau jeu, et ils n’ont pas manqué de s’espacer sur ce thème. C’est à qui le reprendra avec une complaisance, une effusion, un luxe d’épithètes qui, souvent, dépassent la mesure. Par là s’expliquent les impatiences d’hommes d’esprit, agacés à la longue d’entendre dévider les litanies de Molière par des hagiographes béats. L’un d’eux ne serait peut-être pas fâché que Molière ait été un malhonnête homme : « Je l’aime, dit-il, tel qu’il est et même quel qu’il soit. J’entrevois dans sa vie intime de terribles défaillances ; c’était, comme tant d’autres, une pauvre créature impressionnable, sujette à la tyrannie des instincts et souvent en proie au hasard et à l’aventure. Homme, je l’aime pour sa faiblesse. » Nul, on le voit, ne tient moins à partager le sentiment qu’inspirait au bonhomme Andrieux


L’accord d’un beau latent et d’un beau caractère.


J’avoue, pour ma part, conserver quelque chose du vieux préjugé, et ne pas sentir tout le charme du dilettantisme à la Baudelaire, qui trouve la perversité réjouissante et poétique ; car ceci est encore une affectation. Pour Molière, en particulier, il me plaît fort, après y avoir regardé, de ne trouver dans sa vie aucune des « terribles défaillances » entrevues par M. Jules Lemaître.

Ce que j’y vois, au contraire, avec la droiture dont j’ai essayé de donner des preuves, c’est assez de bonté et de bon sens pour que ces deux qualités fussent le fonds essentiel de sa nature. Cette bonté se marquait par l’exercice d’une charité active, variée, délicate. Je ne parle pas seulement des sommes assez fortes qu’il prélevait sur les recettes de son théâtre et distribuait directement ou par l’intermédiaire des religieux ; c’était là une pratique générale chez les comédiens. Mais, en son propre et seul nom, « il donnait aux pauvres avec plaisir et ne leur faisait jamais des aumônes ordinaires. » En voici une preuve assez curieuse. Il venait de jeter une pièce de monnaie à un mendiant, lorsqu’il le voit courir après lui et lui présenter un louis d’or en disant qu’il y avait sans doute erreur : « Tiens, mon ami, lui dit-il, en voilà un autre. » Et il ajoutait : « Où la vertu va-t-elle se nicher ! » Une qualité commune chez les comédiens, c’est leur promptitude à secourir un camarade ; il la pratiquait, lui aussi, sans ostentation, sans éclat, avec une délicatesse qui en doublait le prix. On sait par