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s’était pas senti le droit d’exiger davantage. Elle supposait, par exemple, que le premier colon avait apporté avec lui ses outils et ses bestiaux, qu’il avait bâti lui-même sa cabane, que le propriétaire n’avait eu à faire aucune mise de fonds. D’autres fois, il était arrivé que les premiers colons d’un domaine y eussent été installés à un moment où ce domaine était encore à l’état de saltus, c’est-à-dire de terre en friche. C’est sur ces sortes de terres, en effet, que le colonat parait avoir commencé ; c’est du moins sur elles que nos plus anciens documens nous le montrent. Comme ces terres étaient alors sans valeur dans les mains d’un propriétaire qui les avait eues presque pour rien, et comme on ne savait même pas ce qu’elles pourraient produire un jour, le propriétaire n’avait exigé de ses premiers colons qu’une faible redevance ; et c’était à ce prix seulement qu’il avait trouvé des hommes qui consentissent à défricher. Avec le temps et par le travail de ces hommes, cette terre était devenue fertile. Le propriétaire avait-il pour cela le droit d’augmenter la redevance ? La loi impériale répondait non. Elle voyait une convention primitive, qui avait été faite non par écrit, mais mentalement, et pour toujours, et elle ne permettait pas qu’elle fût rompue. « Si un propriétaire, dit l’empereur, exige d’un colon plus que ce qui a été accoutumé jusqu’alors, c’est-à-dire plus que ce qui a été exigé de lui ou de ses pères dans les temps antérieurs, ce colon se présentera devant le juge le plus proche, et ce juge devra, non-seulement défendre au propriétaire d’augmenter la redevance coutumière, mais encore faire restituer au colon tout ce qui aura été exigé de lui indûment. » La redevance imposée au père, dit un autre empereur, ne pourra pas être augmentée pour le fils ; « car nous voulons que les fils, une fois nés sur le domaine, y restent comme en possession, aux mêmes conditions suivant lesquelles les pères y ont vécu. » L’immutabilité était la règle, aussi bien pour le colon que contre lui. La conséquence était que les bénéfices du défrichement étaient presque tout entiers pour l’auteur du travail ou pour ses enfans à tout jamais. Qu’un colon améliore le sol par des plantations, par des desséchemens, par des irrigations, ce sont ses enfans qui auront tout le profit. La plus-value du sol est pour le colon. Il n’a pas à craindre que ses charges s’accroissent à mesure que sa terre vaudra davantage. Mais de même, en sens contraire, il peut arriver qu’une terre perde une partie de sa valeur ; elle peut se détériorer ou par négligence ou par accident ; la redevance n’en sera pas diminuée, et la famille du colon y restera toujours, sans espoir d’allégement, c’est-à-dire dans la misère. Les documens ne nous disent pas si les colons furent, en masse, heureux ou malheureux ; mais nous apercevons sans peine qu’il y en eut des deux sortes, et que leur situation fut infiniment variable.