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d’individus d’un autre sexe ; à elles seules, elles ne susciteraient pas la représentation anatomique des organes vers lesquels elles tendent. Que, chez l’animal, une représentation de ce genre finisse par se produire, nous n’en avons aucune preuve ; l’animal, il est vrai, reconnaît dès les premières expériences ce qui est approprié à son besoin, mais nous ne pouvons affirmer qu’il se le représente avant ces expériences.

L’instinct est donc ce que nous appelons une idée-force, à la condition d’entendre par là une idée directrice virtuellement préformée dans la structure organique, mais qui ne devient actuelle que sous l’influence de sensations, émotions, appétitions également actuelles.

Nous venons de voir que l’animal artiste (et tous les animaux sont plus ou moins artistes) ne naît pas avec l’idée de son œuvre toute formée, par exemple l’idée du nid ou de la ruche ; ajoutons maintenant que, quand cette idée se forme, elle ne surgit pas tout entière et complète devant l’imagination, comme un plan intérieur qui apparaîtrait à l’animal dès que le besoin ou l’appétit l’invite au travail. Nous croyons plutôt que l’idée évolue elle-même dans l’imagination de l’animal à mesure qu’il la réalise au dehors et par le fait même de cette réalisation : l’idée n’est pas, elle devient. Quand nous voulons dessiner un objet, nous n’avons d’abord devant l’imagination qu’un germe grossier, une silhouette embryonnaire : tantôt ce sont les grandes lignes extérieures, comme celles d’une maison, sorte de cadre à remplir ; tantôt c’est seulement la partie centrale et dominante, comme dans certains dessins d’ornementation qu’il s’agit de développer et de faire ramifier. Ce second mode doit être fréquent chez l’animal. L’abeille commence sa cellule sans trop savoir ce qu’elle va faire, puis le commencement éveille, avec le sentiment de ce qui manque encore, l’image de ce qui doit suivre immédiatement. L’idée prend corps peu à peu, son germe se développe ; elle grandit, elle devient de plus en plus distincte, et la cellule hexagonale finit, à mesure qu’elle s’avance en réalité, par devenu un modèle plus précis dans l’imagination de l’animal : en faisant, il prend conscience de ce qu’il veut faire. C’est un phénomène d’association analogue à celui de l’inspiration artistique. Seulement, chez l’animal, les dispositions héréditaires des cellules sensitives et motrices, par leurs associations immuables, provoquent des associations d’images également déterminées : c’est comme une famille de poêles qui aboutiraient tous à refaire un seul et même sonnet. Chez l’homme, l’inspiration est libre : son kaléidoscope intérieur est susceptible de combinaisons plus nombreuses, d’idées mobiles, tandis que l’animal est enchaîné à une idée fixe par la fixité de sa constitution nerveuse. Cette idée fixe est alors comme le prolongement mental des organes