Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait osé infliger ce supplice à son frère, dans sa frayeur d’être livré à la justice, a donné toutes sortes de raisons à l’agent. Il n’a pas voulu placer son frère à l’hôpital, à cause de la honte qui en aurait rejailli sur la famille. Si on le laissait dans une aussi révoltante saleté, c’est qu’on ne pouvait pas le tenir propre ; s’il était nu, c’était sa faute, car on lui avait donné des vêtemens quand on l’a enfermé. Si on le tenait enchaîné, malgré son extrême faiblesse, c’est qu’il était vigoureux à l’époque où on lui avait mis la chaîne, et qu’on n’a pas jugé nécessaire de la lui enlever quand elle est devenue inutile ; il y était fait, et l’on n’a pas voulu changer ses habitudes. Le bourreau a reconnu que personne n’entrait jamais dans la hutte : c’est lui-même qui portait au séquestré son immonde nourriture, qu’il lui faisait passer au bout d’un bâton. Une fois ou deux par an, quand on voulait nettoyer la hutte, avec une longue perche introduite par le trou, on refoulait dans les coins les immondices, la paille en putréfaction, et l’on faisait entrer un peu de paille fraîche par la même ouverture… Au rapport unanime des médecins qui ont examiné l’insensé, il aurait certainement recouvré la raison s’il avait reçu des soins en temps utile. Aujourd’hui, il est incurable. »

Le comité chargé de veiller à l’exécution de la loi de 1883 a fourni le commentaire le plus éloquent à ces atrocités en déclarant qu’il ne divulgue pas les noms « par le motif qu’il y a très probablement, dans la Pensylvanie, un grand nombre d’autres infortunés séquestrés et traités avec la même cruauté, et que, dans l’intérêt des patiens, il donne l’assurance à leurs barbares parens que leurs noms ne seront pas livrés à la vindicte publique s’ils relâchent volontairement leurs victimes pour les envoyer dans les hôpitaux. » Le voilà donc obligé de pardonner de véritables forfaits, afin d’avoir quelques chances de prévenir leur continuation ! Et cela dans le pays qui se pique de respecter le mieux la liberté individuelle, qui entoure la séquestration de précautions excessives ! Mais ne serait-ce pas plutôt ce luxe de formalités qui contribue à entretenir de telles habitudes ? Beaucoup le pensent, et l’expérience de l’Illinois les a confirmés dans leur opinion. Pris d’un vertige d’utopie, le législateur de cet état avait, en 1873, imaginé de réviser tous les placemens existans : il fallut obéir, et les quatre cents malades de l’asile d’état comparurent devant le jury, qui rendit régulièrement un verdict de folie pour chacun d’eux. De telles absurdités ne pouvaient manquer de provoquer un mouvement de réaction : les médecins, les journaux scientifiques protestèrent contre cette singerie de protection, au bout de laquelle, sur quatre cents malades, on n’en avait pas découvert un seul qui « fût coupable de santé. » Ils montrèrent ces malheureux