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c’est le 8 août 1667 qu’il adresse au roi le second placet; il tombe malade aussitôt après, rouvre son théâtre le 25 septembre sur une bonne parole du roi et se met à une nouvelle pièce. Il importe, cependant, de remarquer que la plainte de Sosie, tout en situation, est exactement imitée de Plaute ; et aussi que, dans le Sicilien, un an avant Amphitryon, Hali, esclave d’un simple gentilhomme, parlait exactement comme Sosie. Le plus simple serait peut-être de ne voir dans ces deux rôles que le langage naturel d’un emploi et d’une situation.

Mais on a été beaucoup plus loin dans l’hypothèse. Rœderer, le rancunier défenseur de la société précieuse, et Michelet après lui, ont tiré grand parti de la coïncidence d’Amphitryon avec les premières amours du roi et de Mme de Montespan. Avec sa verve convulsive, Michelet développe éloquemment ce thème, que la célébration poétique du double adultère aurait payé l’autorisation de jouer Tartufe, M. Paul Mesnard établit, au contraire, combien est improbable cet avilissement du génie de Molière par lui-même et par le roi. D’abord, Louis XIV n’en était pas encore à étaler ses amours ; il les cachait avec Mme de Montespan, comme il les avait cachées avec Mlle de La Vallière ; sa tranquille effronterie dans l’adultère ne viendra que plus tard. En outre, quel étrange plaisir eût-il pu trouver à proposer sa passion aux rires de la cour et de la ville? Molière, de son côté, n’était pas assez imprudent pour risquer sans ordres une pareille indiscrétion. Enfin les dates achèvent de démentir l’hypothèse. L’intrigue royale avait commencé à Avesnes entre le 9 et le 14 juin 1667 ; elle resta quelque temps secrète, ne fut à demi ébruitée qu’à Compiègne vers le milieu de juillet et vraiment connue de tous qu’en septembre, au plus tôt. Comme la première représentation d’Amphitryon eut lieu le 13 janvier suivant, il faut admettre, si le projet n’en est pas antérieur à l’intrigue, que trois mois auraient suffi à Molière pour concevoir, écrire et mettre en scène une comédie qui n’est pas une simple succession de scènes détachées et depuis longtemps en réserve, comme les Fâcheux, une facile improvisation en prose comme l’Amour médecin, mais un poème visiblement composé à loisir. Il vaut mieux admettre que Molière ne céda, en écrivant Amphitryon, qu’au désir d’emprunter un sujet agréable et très scénique à ce même Plaute, auquel il devait bientôt emprunter l’Avare, et qui, lui, ne faisait certainement aucune allusion aux amours de Louis XIV.

Dernière hypothèse, au sujet d’Amphitryon et de Tartufe, qui touche moins que la précédente à la dignité de Louis XIV et à l’honneur de Molière, mais dont il importe, cependant, de montrer l’invraisemblance. C’est encore Michelet qui l’a mise en circulation.