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présent, que ce n’est pas assez de réclamer ce qu’on a rejeté naguère : l’Hamlet du Théâtre-Historique avait huit parties ; celui de la Porte-Saint-Martin en a onze ; celui du Théâtre-Historique, ramené à la Comédie, en aura treize. Dumas et M. Meurice, pour le bien de Shakspeare, l’avaient amputé : ils avaient risqué (oh ! horrible ! most horrible !) d’être confondus par M. Vacquerie avec ces émondeurs de profession qu’il nomme ironiquement « les barbiers des tigres. » On veut, à présent, que le tigre laisse repousser sa barbe. Tout entière ? Non, pas encore. Du moins le premier tableau est rétabli : le drame s’ouvrira sur la terrasse d’Elseneur, la nuit ; avec Horatio, Bernardo et Marcellus, avant Hamlet, nous verrons passer le spectre ; ainsi nous sentirons d’emblée le climat et le caractère de l’ouvrage. Foin de cette exposition faite par le discours d’un roi, au milieu de sa cour, dans une salle close : on croyait voir commencer une tragédie ! D’autre part, le dénoûment véritable, ou peu s’en faut, est restitué : le spectre ne reviendra plus à la fin, représentant de la justice distributive, expliquer à chacun son châtiment et condamner Hamlet, pour le plaisir de faire un mot, à la peine de vivre ; le héros entrera en possession de cette mort que le poète lui a, dès le début, promise. À la bonne heure ! Si ce n’est pas encore tout Shakspeare qu’on nous donne, du moins c’en est un peu plus, et ce n’est rien autre chose ; et cela, dans la maison de Racine ! — Hamlet de printemps, à la Porte-Saint-Martin, avec M. Philippe Garnier et Mme Sarah Bernhardt ! Hamlet d’automne, à la Comédie-Française, avec M. Mounet-Sully ! L’Odéon, s’il n’eût fermé ses portes, nous eût offert sans doute un Hamlet d’été, — celui de Ducis ! — avec M. Paul Mounet. Et pourquoi le Gymnase, quand les recettes de Froufrou baisseront, ne produirait-il pas un Hamlet d’hiver, celui de M. Théodore Reinach, par exemple, — en prose et en vers, celui-ci, et rigoureusement complet, — avec M. Damala et Mme Jane Hading ? Hamlets des quatre saisons ! Heureuse année pour Shakspeare !

Vraiment heureuse, oh ! oui, pour ce grand philosophe et grand poète, si nos gens de théâtre, après ces épreuves, se décident à le laisser tranquille. Dès maintenant nous pouvons l’espérer.

À la Porte-Saint-Martin, on n’a guère hésité à s’ennuyer ni à en convenir ; on a donné de cet ennui des raisons sommaires : « C’est long… C’est haché… Nous ne sommes pas habitués à cette multiplicité de tableaux… Ce Garnier est vilain… Et Ophélie, quel petit rôle ! Vous rappeliez-vous qu’il fût si petit ? Sarah lui prête quelque importance par ses allures et ses intonations fantastiques… Mais, d’honneur, on se demande comment Ophélie est si connue… Par la grâce de Nilsson ? Oui, sans doute… Mais comment a-t-elle subsisté depuis Shakspeare jusqu’à Ambroise Thomas ? » À la Comédie-Française, on ne s’ennuie pas moins : l’ennui, au contraire, est plus accablant ; il est plus copieux et plus solennel, comme il convient dans une grande