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n’aura réussi qu’à prouver une fois de plus combien la paix qu’il a créée, qu’il soutient, est incertaine et précaire, puisqu’elle dépend d’un artifice perpétuel d’omnipotence.

L’échauffourée d’un jour qui a récemment ému l’Espagne ou, pour mieux dire, Madrid encore plus que l’Espagne, n’a pas eu le temps de devenir un danger. A peine avait-elle éclaté, elle a été étouffée. Les quelques centaines de soldats insurgés des régimens d’Albuera et de Garellano qui s’étaient jetés dans la campagne ont été promptement dispersés ou pris sans que leurs chefs aient trouvé un écho dans la population ou dans l’armée et, par le fait, la paix de la péninsule n’a été pour cette fois ni troublée ni même sérieusement menacée.

Cette triste échauffourée, elle aura été sans lendemain, elle n’est pas sans une certaine signification et sans résultats pour le ministère ; elle a eu tout d’abord un épilogue assez dramatique qui, pendant quelques jours, a passionné Madrid plus peut-être que l’échauffourée elle-même. Le général Villacampa et quelques officiers ou sous-officiers considérés comme les chefs ou les instrumens de la sédition ont été pris dans la poursuite organisée contre la bande insurgée ; ils ont été jugés par un conseil de guerre et condamnés à mort. Leur exécution semblait imminente et presque inévitable dans l’intérêt de la discipline et de l’honneur de l’année. Le gouvernement lui-même paraissait résolu à laisser s’accomplir le châtiment d’une insurrection qui a fait de très nobles victimes, qui a coûté la vie à de vaillans officiers, au général Velarde, au colonel comte de Mirasol. Au dernier moment, cependant, à la veille de l’exécution, un mouvement d’humanité et de pitié s’est produit à Madrid dans l’intérêt des condamnés ; on n’a pas plaidé leur cause ni cherché à atténuer leur crime, on a demandé grâce pour eux en dehors de toute préoccupation politique. Les personnages les plus divers, jusqu’aux chefs du clergé, sont intervenus. Les républicains du parlement ont fait des démarches auprès du président du conseil, désavouant hautement l’insurrection, prenant une sorte d’engagement de ne plus recourir désormais à la violence. La régente, la reine Christine, à vrai dire, était d’avance gagnée à la pitié, elle était la première complice d’une pensée de clémente générosité. Elle n’a pas voulu inaugurer sa régence par des mesures implacables et laisser le sang des exécutions éclabousser le berceau du jeune roi Alphonse XIII. Le premier et éclatant usage qu’elle ait fait de sa prérogative royale a été pour signer une grâce qui couvre d’un lustre de compatissante clémence la jeune royauté dont elle est la gardienne. Cette grâce est certainement l’honneur de celle qui l’a accordée et de ceux qui l’ont demandée sans arrière-pensée de parti ; elle aurait aussi une sérieuse portée politique, si elle pouvait être une leçon pour ceux qui sont perpétuellement occupés à prodiguer les excitations révolutionnaires, à