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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/961

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préparer de ces échauffourées où les uns tombent en faisant fidèlement leur devoir, où d’autres, coupables obscurs, sont exposés à payer de leur sang la criminelle folie des ambitieux qui les poussent.

Pour le moment, l’insurrection est vaincue, elle a été désavouée par presque tous les partis, elle a eu cependant cet étrange résultat de provoquer une crise ministérielle, justement à propos de cette grâce que l’opinion a demandée à la reine et que la reine a généreusement accordée. Le gouvernement s’est senti visiblement ému de sa responsabilité ; il ne s’est pas rendu sans résistance, du premier coup, au désir de la souveraine. Le Conseil s’est divisé. Les ministres militaires, le ministre de la guerre, le ministre de la marine, n’ont pas cru pouvoir s’associer à un acte de clémence qu’ils jugeaient dangereux pour la discipline de l’armée et ils ont préféré se retirer ; avec eux se sont aussi retirés quelques autres de leurs collègues. Bref, la dislocation a commencé, et le président du conseil, M. Sagasta, s’est trouvé chargé de recomposer un cabinet. Aujourd’hui, c’est un fait accompli, le ministère parait reconstitué. De l’ancien cabinet, il reste M. Sagasta comme président du conseil, M. Moret comme ministre d’état, M. Puigcerver comme ministre des finances. M. Alonzo Martinez, qui représente un libéralisme modéré et qui avait aussi donné sa démission, s’est décidé à reprendre le portefeuille de la justice. M. Montero Rios, qui était le ministre le plus radical, est remplacé par M. Navarro-Rodrigo à l’instruction publique. L’ancien ministre de la guerre, le général Jovellar, a pour successeur le général Castillo, bon soldat, peu mêlé à la politique, comme le nouveau ministre de la marine, l’amiral Rodriguez Arias. Un constitutionnel modéré, M. Léon y Castillo, entre au ministère de l’intérieur, et un Catalan, poète de talent, radical par ses anciennes opinions, M. Balaguer, entre aux colonies. Tout compte fait, le ministère reconstitué est, comme celui qui l’a précédé, un ministère de coalition et de fusion. Seulement, les circonstances ont changé, et l’insurrection du 19 septembre a évidemment créé à M. Sagasta des difficultés nouvelles. Jusqu’ici, le chef du cabinet de la régente a rencontré peu d’opposition, même parmi ses anciens adversaires les conservateurs, qui lui ont transmis le pouvoir à la mort du roi Alphonse XII. Aujourd’hui, la dernière échauffourée a ravivé des inquiétudes et sur la situation générale du pays et sur l’état de l’armée, des inquiétudes telles que les conservateurs, sans se départir encore d’une certaine réserve, commencent à mettre des conditions à leur neutralité, à faire sentir l’aiguillon au gouvernement.

L’instinct conservateur s’est réveillé sous le coup d’un danger qui n’a pas été très grave cette fois, qui peut le devenir demain. M. Sagasta, qui est un tacticien habile, qui est de plus dévoué à la monarchie, ne parait nullement disposé à braver ces inquiétudes, on le voit bien à la mesure qu’il a mise dans la reconstitution de son cabinet ;