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Tartufe, le Bourgeois gentilhomme, les Femmes savantes, si le fond est bourgeois, combien d’élémens, et d’importance capitale, sont empruntés à la cour ! Or, cette cour, si différente de la cour licencieuse de Henri IV, de la cour morne de Louis XIII, était, comme le sera Versailles, une création de Louis XIV. Certes, on n’y trouvait pas la vertu rigide ; mais, outre que rien ne serait plus stérile pour un poète comique, la vertu est une chose et la vie mondaine en est une autre. L’élégance y était bien un peu pompeuse, et la délicatesse compatible avec une certaine brutalité, mais cette pompe était un excès inévitable, et cette grossièreté un reste du passé qui allait s’atténuant de plus en plus.

Ainsi ouvert à Molière, ce milieu lui offrait la plus riche galerie d’originaux, le choix le plus abondant de travers et de vices. C’est un lieu-commun de dire que la vie de cour efface toute originalité, en substituant aux saillies de caractère et d’humeur un vernis uniforme de modération factice et d’élégance conventionnelle. Sans défendre un genre de vie qui n’est certainement pas l’idéal de l’activité humaine, on peut trouver que l’histoire de la littérature nous montre tout le contraire. Les côtés superficiels des courtisans, et la manière dont beaucoup d’entre eux, êtres de pure imitation, se modèlent sur un type uniforme, sont des apparences trompeuses. Il y a parmi eux de telles différences de caractère et de conduite, les éternelles passions humaines y revêtent des formes si diverses, que les observateurs n’ont jamais cessé d’étudier les cours et qu’elles ont donné matière aux plus riches galeries de portraits. Pour ne pas sortir du XVIIe siècle, il suffira de citer les Mémoires de Saint-Simon et les Lettres de Mme de Sévigné, Dans Molière lui-même, marquis ridicules et hommes de cour sensés, Mascarille des Précieuses, et le chevalier de la Critique, don Juan et Alceste, Adraste du Sicilien, et Clitandre de George Dandin, Dorante du Bourgeois gentilhomme, et Clitandre des Femmes savantes, n’ont de commun que leurs plumes et leurs dentelles, leurs broderies et leurs canons; au demeurant, tout diffère en eux, sentimens et idées, qualités et défauts. Pouvait-il en être autrement? L’élite, non-seulement de la noblesse, mais de toutes les classes, était appelée et accueillie autour de Louis XIV ; de leurs rivalités ou de leur accord, de leur harmonie ou de leurs contrastes résultaient un mouvement d’idées, des conflits de passion, un développement de tout l’être moral faits à souhait pour l’observateur.

Mais, dit-on, si, comme peintre, Molière a profité de la cour, il y a fait provision de mépris pour ses modèles ; son honnêteté et sa droiture y furent en révolte continuelle contre la bassesse triomphante et la nullité dorée. Il faut s’entendre, et ne pas regarder