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porteraient atteinte au respect de la morale, de la constitution et des lois. Elle subit une nouvelle restriction dans l’école publique, puisqu’on ne peut y prendre parti contre les bases naturelles ou révélées des religions reconnues par l’état.

C’est un régime d’inégalité, dira-t-on. L’égalité réclamerait, pour le matérialisme et l’athéisme, le même respect que pour les religions. Tous les professeurs, chrétiens ou libres penseurs, ont les mêmes droits ; toutes les croyances, toutes les convictions des familles sont également respectables. S’il n’est pas permis de troubler la foi d’un enfant catholique, pourquoi le serait-il d’ébranler cette foi d’un autre ordre que les adeptes de la libre pensée se font un devoir d’inculquer à leurs enfans? — Je ne répondrai pas, comme on le fait communément, que le droit ne saurait être égal entre des doctrines qui honorent l’humanité et des doctrines qui la dégradent. Je respecte la liberté philosophique sous toutes ses formes. La valeur propre de chaque doctrine n’est pas ici en cause. Il ne s’agit que des conditions particulières dans lesquelles est placé l’enseignement public.

Je considérerai successivement la question au point de vue des élèves et de leurs familles et au point de vue des maîtres. Les adversaires du christianisme lui ont emprunté des habitudes de langage qui contribuent à fausser les idées. On se sert du nom de foi et même de celui de religion pour exprimer les opinions de la libre pensée. De cette confusion des mots naît celle des devoirs et des droits. On veut, pour la libre pensée comme pour la foi religieuse, non-seulement un égal respect, mais un respect de même nature. La différence des situations appelle, au contraire, des devoirs tout différens. On respecte la foi religieuse en s’abstenant de la discuter. On respecte la libre pensée en la discutant. Le croyant ne veut pas et il a le droit de ne pas vouloir qu’on prononce devant ses enfans un seul mot qui puisse affaiblir la foi dans laquelle il les a élevés. Le libre penseur n’a fait appel qu’à la raison de ses enfans ; il ne s’est servi, pour leur inculquer ses idées, d’aucun argument d’autorité : il ne peut trouver illégitime qu’elles soient discutées devant eux, comme elles pourraient l’être devant lui-même. La contradiction est ici un hommage au principe même de l’éducation qu’il leur a donnée. Il a le droit de protester contre les critiques injurieuses, parce que l’injure, en s’adressant à ses opinions, l’atteindrait lui-même ; mais il ne montre que son inconséquence quand il se plaint de critiques mesurées, qui ne s’en prennent qu’au fond des doctrines et qui respectent les personnes. Il pourra, à la maison, discuter à son tour les enseignemens du maître. Il ne doit pis craindre, dans l’esprit de ses enfans, le conflit des opinions. Ils