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1857 les permet, sans les définir et d’une manière assez vague. Cette pratique ne laisse pas de rencontrer des adversaires fort décidés, entre autres le docteur Legrand du Saulle, qui a raconté les fruits amers de son expérience. Sur les vives instances des parens, il accorde une permission à une fille de vingt-neuf ans qui semblait à peu près guérie ; le soir même de sa sortie, son père l’avant envoyée chercher deux sous de tabac, elle ne rentra plus ; on sut qu’un ouvrier l’avait conduite dans sa chambre et gardée trois jours, au bout desquels il se débarrassa d’elle. Plusieurs femmes, envoyées de même en permission, sont rentrées enceintes ; d’autres fois, c’étaient des parens qui sollicitaient ces sorties pour faire consentir un acte notarié ou toute autre obligation. La majorité des aliénistes considère toutefois que les sorties d’essai fournissent le moyen le plus sûr de reconnaître, dans les cas douteux, qu’un aliéné peut rentrer dans la vie commune; c’est l’expérience directe, la constatation même du fait substituée à de simples présomptions; elle permet aussi, en cas de rechute, de reprendre aussitôt le malade sans remplir les formalités d’un nouveau placement.

Voici d’autres innovations plus considérables : l’intervention du pouvoir judiciaire dans les placemens demandés par les particuliers, un conseil supérieur des aliénés, des commissions départementales permanentes. Tout le rôle actif attribué à l’administration passe au parquet d’abord pour les mesures provisoires, au tribunal ensuite, statuant en chambre du conseil, pour les mesures définitives. Dans les cinq jours de la remise du rapport médical, le procureur de la république ou le juge de paix délégué, assisté d’un médecin, visitera la personne conduite à l’asile, procédera, s’il le juge nécessaire, à une enquête; dans le délai d’un mois à partir de l’admission provisoire, la chambre du conseil prononcera la maintenue ou la sortie. Approuvée par beaucoup de jurisconsultes, cette réforme rencontre pour adversaires la plupart des aliénistes, qui invoquent une expérience de quarante-sept ans, et tiennent pour l’autorité administrative, responsable de la sécurité publique, habituée aux mesures expéditives qui répugnent à la justice. Ils observent qu’en faisant le tribunal juge suprême de la question de savoir si l’interné est ou n’est pas aliéné, on amoindrit l’autorité du médecin, et que, d’ailleurs, les aliénés ne sont pas des prévenus qu’on incarcère. A Paris, les 3,000 jugemens d’aliénation qui devront être annuellement rendus absorberont plusieurs magistrats du parquet et au moins une chambre du conseil. L’Académie de médecine voudrait que le procureur de la république pût prononcer immédiatement le placement définitif; certains investiraient la commission permanente des fonctions qu’on distribue à la chambre du conseil.