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afin de travailler au perfectionnement de la race, excluait du droit à l’amour, à la reproduction, les êtres faibles, mal constitués, les infirmes de l’intelligence et du corps, ne permettant qu’aux plus beaux types de procréer dans des limites et des conditions rigoureusement déterminées. L’homme ne pèche point, mais il est possédé à un degré quelconque, voilà la bonne théologie, disait Casaubon, dont le paradoxe retourné devient l’évangile de ces outranciers de la science.

Et si, après avoir décrété de folie ou de demi-folie la plupart des criminels, ils s’arrêtent et n’osent en réclamer l’absolution, ne peut-on leur reprocher de poser de bien dangereuses prémisses, de laisser entrevoir des conclusions encore plus menaçantes, lorsqu’ils font rentrer l’habitude du crime dans un compartiment de l’aliénation mentale? MM. Frédéric Hill et le professeur Laycok prétendent que les criminels, pour la presque totalité, sont moralement imbéciles. Dans son livre si curieux, Crime et Folie, Maudsley, traitant des influences[1], formule cet axiome : du vrai voleur, parodiant ce qu’on dit du vrai poète, on peut répéter qu’il naît, qu’il ne devient pas voleur : « La classe criminelle, ajoute-t-il, constitue une variété dégénérée ou morbide de l’espèce humaine, aussi facilement reconnaissable des autres qu’un mouton à tête noire l’est de toutes les autres races. Un air de famille les dénonce comme compagnons marqués, notés et signalés par la main de la nature pour l’œuvre de honte. M. Bruce-Thompson, médecin de la prison générale d’Ecosse, affirme qu’en présence de la tentation l’imbécillité morale du criminel invétérée est si grande qu’il n’a contre le crime aucun pouvoir sur lui-même; en douze ans, la prison de Perth a reçu 430 meurtriers, dont £0 reconnus aliénés au moment de la perpétration du crime ; le traitement moral n’a aucune prise sur eux, un seul peut-être a manifesté des remords : « Trouvez-moi, disait un de ses confrères, un homme qui ait changé en honnête ouvrier un fripon semblable, il n’aura pas plus de peine à métamorphoser de vieux renards en bons chiens domestiques ! » En Italie, sous l’inspiration de trois savans distingués, MM. Lombroso, Garofalo et Ferri, a surgi une école néo-darwinienne qui n’aspire à rien moins qu’à transformer, d’après les principes physiologiques et d’après l’anthropologie criminelle, la philosophie du droit pénal, à faire entrer la jurisprudence, trop scolastique à leur gré, parmi les sciences exactes. Lombroso développe cette idée que la criminalité n’est que l’enfance prolongée ou la sauvagerie survivante ; il

  1. Comme nouvelle preuve de la puissance de l’hérédité, on a rappelé que certaines famille» avaient jadis le privilège de fournir les bouffons à la cour du roi de France.