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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/165

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criminels des condamnés aliénés et des aliénés ordinaires ? Le docteur Luys déclare avoir vu beaucoup de fous, dits criminels, tomber dans la démence au bout de six ou sept ans et cesser d’être dangereux ; le crime n’avait été qu’un épisode de leur carrière. Mais ceci prouve simplement que le régime nouveau doit, après un séjour plus ou moins long dans l’asile spécial, comporter le transfert dans les asiles ordinaires. Quant au fond du débat, on peut dire, avec M. Roussel, qu’une situation exceptionnelle impose des devoirs exceptionnels; que le gouvernement ne cède nullement à de vaines clameurs de l’opinion en imitant l’exemple des peuples les plus policés ; qu’on ne peut sacrifier la distinction entre les condamnés aliénés et les aliénés criminels, car le fait de la condamnation a par lui-même des conséquences que personne ne saurait supprimer. Il y a là un stigmate indélébile, la tache « que tous les parfums d’Arabie ne pourront purifier, » et c’est dans cette catégorie qu’on rencontre les plus redoutables malfaiteurs, des hommes dont le voisinage inspirera toujours une répugnance invincible aux autres malades et à leurs familles.


VI.

En Angleterre, la contribution de l’état au service des aliénés dépasse 15 millions de francs; en France, elle compte pour 66,410 francs, affectés à la maison nationale de Charenton, alors que les dépenses générales représentent une somme de 21 millions, dont les deux tiers environ retombent sur les départemens, une autre partie sur les familles et les communes. Celles-ci participent à la dépense parce qu’elles doivent pourvoir aux besoins de leurs membres indigens, et aussi parce qu’il faut soustraire les maires à la tentation d’encombrer les asiles de pauvres vieillards dont la tête est troublée, sans qu’il y ait insanité complète. En s’exonérant de toute charge financière, l’état perdait un puissant moyen d’action sur les assemblées départementales ; celles-ci cherchèrent sans cesse à alléger leur fardeau et furent secondées dans leur effort par les lois de décentralisation des 18 juillet 1866 et 10 août 1871, qui, supprimant le contrôle du gouvernement dans la fixation du concours des communes, aggravèrent une situation déjà précaire dont les rapports des inspecteurs généraux, des procureurs généraux, signalent à mainte reprise le vice capital. On tient pour inoffensifs, on refuse de séquestrer une foule d’aliénés jusqu’au jour où un incendie, un meurtre, forcent tout le monde à ouvrir les yeux: il y a quelques années, on amena au quartier d’hospice d’Orléans un homme reconnu fou depuis longtemps, mais pas dangereux, qui, armé d’un croissant à élaguer les arbres, venait, en