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quelques minutes, de tuer cinq personnes. « j’ai vu, disait l’inspecteur général Constans, une femme jeune, dont l’admission avait été refusée pendant plusieurs années : elle avait les jambes fléchies sur les cuisses et les cuisses sur le bassin ; tous les membres fléchisseurs étaient contracturés au point qu’ils n’ont pu reprendre leurs fonctions. Elle avait passé deux ans dans un toit à porcs, trop bas pour qu’elle pût se tenir debout, trop étroit pour qu’elle pût allonger les jambes. Elle criait jour et nuit : la famille, ne possédant qu’une chambre, ne pouvait prendre son repos après le travail et n’avait pu disposer que du toit à porcs pour éloigner la malade. » Pendant que les maires provoquent des placemens abusifs en faveur des familles qu’ils favorisent, les conseils généraux liardent, lésinent sur le budget des asiles publics ou autonomes[1], le rognent de toute façon : par le détournement des excédens de recettes, par la fixation de prix de journée inférieurs au prix de revient. L’un d’eux a même imposé, pour la pension de ses indigens, une subvention fixe de 100,000 francs, qu’il a réduite à 90,000; et, comme il n’avait pas moins de 384 aliénés à son compte en 1878, le prix de journée descendait à fr. 71, tandis que la dépense réelle dépasse 1 fr. 10, ce qui se traduit par une perte annuelle de 54,662 francs. L’asile n’a pu résister à ces épreuves qu’en élevant ses prix pour les étrangers, en ajournant les améliorations les plus nécessaires ; dans d’autres maisons on a dû, pour la même cause, supprimer la ration de vin, diminuer la ration de viande. Que les conseils généraux règlent le budget de leurs asiles, qu’ils fixent pour leurs malades un prix moindre que pour les étrangers, rien de plus naturel; mais la faculté de régler un budget n’implique nullement celle de l’appauvrir au profit d’un autre, et, d’ailleurs, les recettes d’un asile public ne proviennent pas seulement de fonds départementaux, mais aussi du travail des aliénés, des contingens communaux, des pensions payées par les familles et les autres départemens. L’équité la plus élémentaire commande donc que de tels revenus profitent d’abord aux aliénés; qu’afin d’écarter cet abus

  1. Les asiles autonomes, qui constituent des personnes civiles dont le patrimoine demeure absolument distinct de la propriété départementale, sont au nombre de sept : Aix, Armentières, Bailleul, Bassens, Bordeaux, Cadillac, Saint-Pierre-de-Marseille. Ils proviennent, en général, d’anciennes fondations dont l’origine est obscure, et leur situation, comme personne civile et comme propriété, est mal déterminée. Bien qu’ils aient une existence propre et indépendante, et ne puissent compter que sur leurs ressources personnelles, ils subissent aussi les abus de pouvoir des conseils généraux; il en est qui avaient réussi à se constituer une réserve importante sur laquelle on les force à prendre aujourd’hui pour vivre, parce que le département leur impose un prix de journée onéreux qui les laisse chaque année en déficit. M.de Crisenoy propose de les assimiler en tout aux asiles départementaux ; le ministre se contente de réclamer le droit de régler leurs prix de journée.