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d’une organisation de malfaiteurs, opérant au grand jour, ayant leur président et leur vice-président élus, leur quartier-général dans un local baptisé par eux du nom de Tammany Hall, paradant par la ville musique en tête, bannières déployées, se désignant eux-mêmes du nom de Hounds, limiers, et débutant, un certain dimanche, par le pillage et la destruction d’un quartier entier habité par les Chiliens. Mis en goût par cette première et lucrative expédition, ils en préparèrent d’autres et, à plusieurs reprises, ils s’attaquèrent aux tentes les mieux garnies, dévalisant ouvertement les magasins où ils savaient trouver des spiritueux. En l’absence de toute police et de toute autorité, quelques hommes résolus entreprirent de résister. Le 16 juillet, ils convoquaient la population à un meeting d’indignation, faisaient main-basse sur les chefs des Hounds, les jugeaient séance tenante, les condamnaient à dix années d’emprisonnement et donnaient aux autres trois jours pour décamper. La plupart, en effet, quittèrent San-Francisco, du moins pour un temps.

De cet ensemble confus de faits, de ce chaos de nationalités diverses se dégageaient cependant déjà quelques symptômes qui n’échappaient pas à des yeux clairvoyans. On inclinait à croire à l’avenir de San-Francisco, à sa grandeur future. C’était bien là, sur cette langue de terre étranglée entre la baie et les mornes de sable, que devait s’élever la métropole du Pacifique. On commençait à rechercher les parcelles de terrain, malgré l’incertitude qui pesait sur la valeur légale des titres de propriété. La plupart des détenteurs ne possédaient, en effet, qu’en vertu de concessions mexicaines mal définies et mal libellées. Tel gouverneur avait, de son autorité privée, octroyé plusieurs hectares à prendre dans un certain rayon, à la charge pour le concessionnaire d’enclore sa propriété. Le plus vent ce dernier n’en avait rien fait. Sur ce terrain vague les premiers émigrans avaient dressé leurs tentes; pour se séparer de leurs voisins, ils avaient soit creusé un fossé, soit érigé une clôture rudimentaire : puis, partant pour les mines, ils avaient cédé ou vendu cet abri provisoire à d’autres qui s’en considéraient comme propriétaires légitimes et recevaient, le revolver au poing, le propriétaire primitif ou celui auquel il avait transféré ses droits. Au début, les concessionnaires, n’attachant aucune valeur aux terrains obtenus de la libéralité des gouverneurs, avaient, en outre, négligé de faire enregistrer leurs titres à Mexico, pour éviter le paiement des droits de fisc. Il en résultait une inextricable confusion; aussi la plupart des transactions s’effectuaient-elles dans des conditions assez insolites. L’acquéreur achetait à ses risques et périls, et entrait en possession quand et comme il pouvait. De là naquit une industrie toute spéciale. Certains individus traitaient à forfait pour mettre l’acquéreur en possession. Le prix variait suivant les risques à courir, les