Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chicanes. Il prétendait s’arroger un droit de réquisition discrétionnaire sur tous les territoires beylicaux et convertir en domaine militaire, placé dans les attributions du service du génie, tous les habous ou établissemens publics, ayant un caractère religieux, dont les revenus sont affectés à la justice musulmane, aux écoles, aux mosquées. Le droit de conquête, tel qu’il l’entendait, ne respectait pas même les propriétés privées. La zone qu’il réclamait pour la soumettre au régime des travaux mixtes comprenait tous les ports, toutes les villes, tous les points du territoire offrant un intérêt sérieux pour les travaux publics, auxquels il imposait la loi de son bon plaisir. Ce n’étaient pas des bâtons, mais son épée, qu’il mettait dans les roues d’une voiture dont les essieux étaient fragiles et qui ne roulait pas encore en plaine.

Cette grosse querelle ne suffisait pas à l’inquiétude de son esprit. En vertu d’un accord conclu entre les deux départemens des affaires étrangères et de la guerre, les droits d’entrée étaient acquittés sur les matériaux provenant de France et destinés aux travaux du génie. Une seule réserve était faite en faveur des marchandises dont l’administration était propriétaire avant l’expédition. Au mois d’avril 1885, le génie se refusa à l’acquittement des droits, et, de son côté, la douane crut devoir s’opposer à la livraison des objets. Les prétentions du quartier-général furent approuvées par le département de la guerre, et M. le général Boulanger déclara publiquement qu’il ferait enlever de vive force les colis déposés en douane. M. Cambon s’empressa d’avancer le montant des droits, pour épargner aux colonies étrangères le spectacle de soldats français se servant de leurs armes contre une administration française, coupable de trop d’attachement à ses devoirs professionnels.

Ce fut pour mettre fin à ces dangereuses querelles qu’intervint le décret du 23 juin 1885, délibéré en conseil des ministres, qui plaçait sous les ordres du ministre résident les commandans des troupes de terre et de mer et n’attribuait qu’à lui seul le droit de correspondre avec le gouvernement français, sans qu’il fût fait à cette régie d’autre exception que pour certaines affaires purement techniques. Dans sa lettre d’envoi, M. de Freycinet écrivait à M. Cambon : « Je vous soutiendrai énergiquement, et tous mes collègues sont disposés à faire respecter vos légitimes prérogatives. » En notifiant le décret à M. le général Boulanger, M. Cambon l’invita à se concerter avec lui pour dresser le tableau des affaires techniques que le commandant de la division d’occupation pourrait traiter directement avec le ministre de la guerre. Le 8 juillet 1885, le général lui répondait : « j’ai ordre du ministre de la guerre de continuer à lui envoyer directement toute ma correspondance militaire. J’estime donc qu’il n’y a pas lieu d’établir