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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/314

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France un spectacle dont elle était avide et dont l’empire l’avait sevré depuis 1852. Les princes de l’église avaient paru à la tribune du sénat pour défendre la cause du pape, M. Emile Ollivier et M. Jules Favre défendaient au corps législatif les principes de 89, ils prouvaient que leur parole longtemps étouffée était toujours vibrante, tandis que M. Jules Simon développait avec une haute éloquence la doctrine de l’église libre dans l’état libre, qui peut-être prévaudra dans l’avenir. Les deux principes qui divisent le monde contemporain se trouvaient face à face.

M. de Moustier affrontait une redoutable épreuve ; il n’était pas orateur. Il par la en homme d’état, sans passion, il invoqua à la fois les droits imprescriptibles de l’église et les principes modernes ; il défendit le pape sans sacrifier l’Italie. Il flétrit la politique tortueuse qui avait méconnu la convention du 15 septembre et nous avait mis dans la douloureuse nécessité de la faire respecter l’épée à la main ; mais il affirma les sympathies du gouvernement de l’empereur pour l’Italie. Il se refusa de s’arrêter aux pronostics pessimistes qui annonçaient la dislocation prochaine de la monarchie de Victor-Emmanuel. « Les événemens au milieu desquels l’Italie s’est formée, disait-il, ne sont pas de ceux qui reviennent à leur point de départ par une simple force de réaction. Le monde marche en avant et retourne rarement sur ses pas. »

M. de Moustier, avec une extrême habileté, avait, dans une forme heureuse, laissé la porte ouverte aux transactions. Ses paroles étaient de nature à réconcilier l’Europe avec la conférence. M. Thiers allait envenimer le débat, froisser mortellement l’Italie, harceler le gouvernement et le pousser sous l’influence d’une assemblée fiévreuse à des déclarations inconsidérées.

Il reprochait à la politique impériale d’avoir laissé faire l’Italie et surtout d’avoir aidé à la faire ; c’était d’après lui une faute irréparable d’avoir constitué une nation de 27 millions d’habitans à nos portes quand nous pouvions la laisser morcelée, et cette faute était d’autant plus grave que l’unification de l’Italie avait amené l’unification de l’Allemagne. M. Thiers soutenait que les grandes puissances ont le droit d’empêcher, dans l’intérêt de la sécurité commune, les états plus faibles de se grouper et de s’unifier. Il se moquait des novateurs qui invoquent le droit des nationalités et qui engagent la France à se fier assez à sa propre grandeur pour ne pas se montrer jalouse de l’agrandissement d’autrui ; il ne voyait que la France pratiquer cette politique chevaleresque. Il se plaignait qu’on fût tantôt Allemand, tantôt Italien, sans être jamais Français. Il lui semblait qu’on fût dans le parlement de Turin ou de Berlin en entendant sans cesse proclamer les droits des étrangers; il suppliait qu’en France on fût Français, alors qu’en Allemagne et en Italie on l’était si peu; il déclarait