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comte de Bismarck ; il ne faut pas imposer à la patrie ses désirs ses préférences[1]. » Combien le patriotisme de M. Thiers eût été plus grand si, après avoir révélé les fautes et signalé le danger, avait, en renonçant à ses désirs et à ses préférences, supplié chambres d’abjurer tout esprit de parti, tant que la France ne serait pas en état de pourvoir à sa sécurité et de défendre son rang dans le monde contre d’ambitieux desseins !

M. Rouher, obéissant aux sommations de M. Thiers, se précipita à la tribune, pâle, décontenancé : son discours allait donner le coup de grâce à la conférence ; la chambre était frémissante, la majorité indécise ; le ministre d’état ne se préoccupa que des moyens de la rallier au gouvernement. M. Rouher, malgré sa puissante intelligence et sa merveilleuse faculté d’assimilation, avait peine à se retrouver dans les trames enchevêtrées de la politique extérieure. Il n’avait pas séjourné à l’étranger, il ne parlait que sa langue, il lui manquait le sens européen. Il avait défendu la cause de l’Italie au mois de juillet 1866, dans les conseils de la couronne, contre M. Drouyn de Lhuys, lorsqu’il ne fallait se préoccuper que de l’intérêt français ; il plaidait aujourd’hui la cause du pape quand il aurait fallu ménager l’Italie et tâcher atout prix de sortir honorablement de Rome. Il prenait le contre-pied du ministre des affaires étrangères et, dans un entraînement oratoire, renversait son échafaudage diplomatique ; il tirait le gouvernement de son impartialité religieuse et lui fermait toutes les issues qui pouvaient mener à une transaction. Son attitude était d’autant plus étrange que, dans le courant d’octobre, il avait, contrairement à notre politique officielle, accepté, dans un entretien avec M. Nigra, la coopération militaire de l’Italie au rétablissement de l’ordre dans les états romains[2].

« Les troupes françaises resteront à Rome, disait M. Rouher, tant que la sécurité du pape rendra leur présence nécessaire ; si l’Italie marchait contre Rome, elle trouverait de nouveau la France sur son chemin. Nous demanderons l’énergique application de la convention du 15 septembre, et si cette convention ne rencontre pas dans l’avenir son efficacité, nous y suppléerons nous-mêmes.

« On dit : « Le pape a besoin de Rome, et l’Italie prétend ne pas pouvoir s’en passer ; nous répondrons à ce dilemme en déclarant que l’Italie ne s’emparera pas de Rome. Jamais la France ne supportera une telle violence faite à son honneur, à sa dignité. »

Pour motiver ses déclarations, il montrait dans la tentative de Garibaldi contre Rome la première explosion d’une vaste conjuration révolutionnaire, à la fois religieuse et politique, qui, préparée

  1. Maurice Busch.
  2. Livre vert. — Dépêche de M. Nigra du 15 octobre 1867.