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L’idée de certaines règles à observer se développa, et il fut plus facile de les violer que de les ignorer. On substitua d’autres procédés à la brutalité fiscale agissant au hasard avec cette violence inconsidérée qui « abat l’arbre pour avoir le fruit. » A défaut d’une théorie scientifique, on démêle très bien dans l’administration d’un Sully, plus encore d’un Colbert, et dans les commentaires dont ils accompagnent leurs ordonnances, comme dans les projets qu’ils ne purent mettre à exécution, la préoccupation de rendre l’impôt moins capricieux, moins dur et moins inégal. Cela rentrait d’ailleurs dans la politique royale, qu’on a qualifiée déjà, avec un peu d’exagération dans les termes, de « démocratique.» On trouve cette inspiration d’humanité et d’égalité exprimée avec la plus grande force chez Vauban et quelques autres réformateurs. Ils ont les yeux fixés sur un idéal de justice et se proposent de soulager le « menu peuple. » Peu importe que des projets comme la Dîme royale soient impraticables, il s’en dégage des principes destinés à ne pas périr. L’école économiste du XVIIIe siècle les recueille pour constituer une science, malheureusement encore trop mêlée d’hypothèses. Elle s’autorise, en réclamant l’émancipation du travail, des sentimens et des idées de ce qu’on a depuis lors appelé la « démocratie libérale. » Elle veut l’égalité devant l’impôt, elle y échoue par la prétention systématique d’en faire porter le poids par l’unique catégorie des propriétaires fonciers, dans la chimérique conviction que les charges se répartiraient ensuite naturellement sur toutes les autres classes sociales. On sait que, dans l’ordre théorique, il appartenait à un économiste moins systématique, à Adam Smith, d’établir les charges publiques sur toutes les richesses, sur toutes les classes, tous les travaux étant reconnus productifs. On peut affirmer que toutes les théories, à la fin du dernier siècle, se rencontraient dans la pensée d’abolir les privilèges qui exemptaient des classes entières de l’impôt, et dans une conception des moyens d’asseoir, de répartir, de percevoir les taxes, infiniment plus équitable et plus favorable à la masse. La révolution, à ses débuts, n’a guère fait qu’emprunter aux économistes leur programme dans l’accomplissement de cette réforme fondamentale qui, d’une part, affranchissait le travail des monopoles, et, de l’autre, établissait l’égalité devant l’impôt. Elle ne dit pas une seule fois à ce peuple de contribuables, la veille écrasé par le fardeau dont les hautes classes s’étaient déchargées sur ses épaules : « Tu ne paieras pas ta part dans les dépenses communes ! » Loin de là, elle vit dans l’impôt l’obligation, la dette de tous, et, comme le proclamait un de ses orateurs en langage du temps, « le titre même du civisme. » Vouloir s’y soustraire, c’eût été se déclarer