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charge s’allège en se divisant. Mais on ne saurait imputer à la démocratie à la Rousseau et à la Robespierre cette erreur économique ; la démocratie vraiment radicale ne se borne pas à abolir ce qui est, à tort ou à raison, jugé nuisible : elle est inventive et fertile en combinaisons tracassières. Le système progressif était dans son génie. Barère, l’homme de toutes les opportunités, en fit accepter le principe par la Convention dans sa séance du 17 mars 1793. Mais les événemens marchaient trop vite pour qu’on eût le temps de s’occuper d’une organisation sérieuse. Les impôts mis sur des revenus comme les traitemens eurent le plus triste sort. Le député Ramel ne tardait pas à déclarer que « les fonctionnaires avaient été les principales victimes de ces mesures. » La question de l’impôt prend alors un caractère purement révolutionnaire. La commune de Paris donnait l’exemple lorsqu’elle décrétait un impôt sur les riches en des termes inappréciables : « Les autorités constituées lèveront dans chaque commune une taxe proportionnée à leur fortune et à leur incivisme. » La Convention institua des jurys d’équité, chargés de répartir dans les communes la contribution mobilière. La violence la plus inique s’ajouta à ce qu’il y avait déjà d’arbitraire dans la loi de germinal an V, comme le montre M. Léon Say, qui analyse avec le plus grand soin cette législation de l’impôt personnel. On a peine à croire combien ce dernier mot s’applique en toute rigueur. L’auteur cite le cas particulier d’un brave rentier, nommé Pérochelle. Cet honnête homme vivait dans un appartement fort simple avec un seul domestique. On jugea cet appartement trop modeste. On l’imposa à 240 francs. Il se plaignit, on l’imposa à 400 francs ; il se plaignit encore, on l’imposa à 600. M. Say parle aussi d’un riche vieillard qui vint s’établir sur un canton suisse, lequel, convoitant son héritage, fit une loi spéciale pour se l’assurer; il fallut du moins que le propriétaire consentît à faire un gros sacrifice. Qu’on ne dise pas que ce sont là seulement de bizarres exactions : elles jugent un système.

La révolution de 1848 a fait aussi éclore des projets issus de la même tradition et des propositions d’un caractère purement révolutionnaire. M. Garnier-Pagès demandait l’établissement de l’impôt sur le revenu ; il le demandait progressif. Il pressait l’assemblée de « ne pas manquer la gloire éternelle de l’avoir établi dans la France républicaine. » Barbès voulait forcer l’assemblée, envahie le 15 mai 1848, à voter sur place un milliard d’impôts sur les riches. Proudhon, trouvant qu’un milliard n’était pas suffisant, en demandait trois, dans son journal, à quelques jours de là. L’ennemi des propriétaires voulait les forcer à « rembourser » 150 millions à leurs locataires. Les rentiers auraient acquitté l’autre moitié. — Il a été