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après 1868 question d’imposer le revenu dans des projets plus modérés et plus réfléchis, émanés d’économistes qui n’obéissaient assurément à aucune idée démocratique, et qui prétendaient seulement suivre les traces de l’income-tax. Ni les principes de proportionnalité simple dont ils se recommandaient, ni le nom de leurs auteurs n’ont sauvé ces projets d’un échec explicable par la défiance que ces taxes inspirent et semblent vouées à justifier de plus en plus. M. Hippolyte Passy, ministre des finances, et dont le nom fait autorité en économie politique, proposait un de ces projets, en prenant pour signe du revenu la valeur locative. M. Léon Say l’analyse et s’applique à le réfuter. Il rappelle et examine de même le projet d’impôt sur les revenus, par opposition à l’impôt sur le revenu, projet qui eut M. Casimir Perier pour rapporteur en 1871, et dont l’assemblée ne retint que l’impôt de 3 pour 100 sur les valeurs mobilières. Un impôt sur les rentes a paru avoir depuis lors des chances de succès. L’auteur n’y fait pas d’objection de principe, mais il le considère comme injuste et fâcheux dans les conditions spéciales de la rente française.

La démocratie n’a pas paru pendant longtemps être en jeu dans l’income-tax de l’Angleterre, simple impôt de guerre avec Pitt, impopulaire d’ailleurs, au point que les registres furent brûlés. Cet impôt fut rétabli sous l’empire de nécessités pressantes, dans des conditions absolument différentes de notre milieu social. Il n’en présente pas moins des inconvéniens qui tiennent à l’établissement de catégories de personnes et de situations déterminées par autant de cédules spéciales. L’exemption de tout revenu au-dessous de 150 livres sterling est le premier pas dans ces distinctions, qui ne cessent de s’y multiplier. On se plaint que la cédule des revenus industriels ne rende pas plus de la moitié des sommes supputées à l’avance. On accuse les fausses déclarations ; mais combien de revenus de ce genre incertains, précaires, insuffisans, semblent excusables de vouloir se soustraire ! d’abord eux-mêmes s’ignorent. Puis la taxe ne risque-t-elle pas parfois d’enlever tout le bénéfice? C’est comme la dîme, dont Turgot disait énergiquement qu’elle risquait parfois de « couper plus que l’herbe. » En tout cas, qui peut assurer que l’income-tax restera longtemps en Angleterre à l’abri de la fausse démocratie ? M. Say raconte d’une manière dramatique quelques épisodes, en effet fort émouvans, de la grande lutte de Richard Cobden et de Robert Peel. Il montre à quel moment précis la démocratie libérale et modérée de ce tribun de la ligue anticorn-law pénétra dans la politique économique de la vieille Angleterre, pour se voir malheureusement remplacée par le socialisme d’état, qui a maintenant le verbe haut dans la patrie d’Adam Smith, et qui aspire à s’emparer du gouvernement. Il y a déjà des symptômes de cette sorte, on peut le craindre du moins, dans les