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théâtre, un Parnasse peuplé de poètes du sommet à la base, en attendant la nationalité restaurée? Comment la manie de l’esthétique qui depuis quelques années agile l’Espagne a-t-elle pu s’emparer d’une race peu préparée à vivre d’idéal, et infiniment plus raisonnable que sensible? Cette tendance à sortir de sa nature n’a jamais été un symptôme de bon augure pour la santé mentale. Il est à craindre que l’épidémie ne dégénère en endémie.


Parmi les causes qui ont détourné du but le courant des esprits novateurs et rénovateurs des lettres catalanes, l’ambition poétique est peut-être la principale. De très bonne foi, avec une confiance enfantine, une troupe innombrable de rimeurs s’est mise à l’ouvrage, versifiant sur tous sujets et en toutes mesures, comme un musicien qui s’essaie en tous les genres sur un instrument complaisant et docile à ses caprices. Aussi n’est-ce point la variété qui manque : il y a de quoi contenter tous les goûts, pourvu que les curieux ne soient pas trop délicats. Ce qui manque à peu près absolument, c’est l’originalité qui vient de la nature, et que ne confèrent point les récompenses fleuries, libéralement distribuées par le consistoire des mainteneurs. On a beau parcourir les recueils de choix, les plus belles anthologies, en un mot, le livre d’or des poètes ou troubadours catalans, il n’y a point dans tous ces bouquets poétiques, si artistement composés, la plus petite immortelle, un de ces chants qui traversent les âges comme l’ineffable expression du cœur et de l’âme. Point de ces vers ailés qui volent au but comme une flèche d’or du dieu des poètes. La plupart sentent le programme du concours et le manuel poétique. La fleur naturelle, décernée au premier prix, n’a pu prévaloir sur l’églantine d’argent et la violette d’or distribuées avec une libéralité sans pareille. Comme au collège, il y a beaucoup trop de nominations, de mentions honorables et de prix d’encouragement. Il est naturel que les talens poussent dru sous cette pluie fécondante. Les jardiniers des jeux floraux s’entendent à manier l’arrosoir ; de leur pépinière les poètes éclosent à foison. De là tant de versificateurs en tous genres, tant d’artisans de la rime qui s’efforcent en vain et s’évertuent à remplacer le naturel et la grâce par l’artifice et l’imitation servile ; ils tombent presque tous dans le métier. Si le poète est tel que l’a défini Platon, n’allez pas le chercher en Catalogne ; vous ne le trouverez pas davantage dans les autres pays de langue catalane. Vous y trouverez en revanche, des ménestrels, des ménétriers pour mieux dire, adroits à manier la flûte pastorale, le tambourin, le galoubet, la guitare et la mandoline, voire la lyre ou la harpe, quand ils ne vont pas jusqu’à emboucher le clairon guerrier et la trompette épique. Beaucoup sont d’excellens instrumentistes, faisant vaillamment leur