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partie dans ce vaste concert, où le nombre innombrable des exécutans défie la direction du plus habile chef d’orchestre. Il avait peut-être raison, ce professeur officiel de langues romanes, qui. voulant démontrer l’utilité des patois, déclarait sans rire qu’ils peuvent servir excellemment d’instrument aux facultés poétiques de ceux qui les parlent et n’osent donner l’essor à leur talent dans une langue littéraire. Les vers patois remplaçant les vers grecs et latins, c’est là une évolution de l’idée classique qui fournirait la matière d’un nouveau chapitre à l’histoire toujours ouverte de la vieille querelle des anciens et des modernes. Dans la littérature comme dans la politique, l’imprévu est plein de charme ; et la nouvelle théorie littéraire sur la finalité des patois se peut démontrer expérimentalement. Le fait est, que dans cette armée d’orphéonistes, il en est qui versifient indifféremment en castillan, en catalan, et à l’occasion en patois provençal, avec un égal succès. De ce nombre est M. Victor Balaguer, poète, historien, publiciste. auteur comique et tragique. Cet ancien ministre du roi Amédée, revenu aujourd’hui au pouvoir, a fait l’apologie et le panégyrique des patois espagnols en prenant séance à l’académie espagnole où il a reçu par le virtuose de la parole, M. Castelar, qui l’a couronné de fleurs et loué en prose poétique de manière à lui faire oublier la férule de M. Amador de les Rios, qui l’avait reçu à l’Académie de l’histoire, en répondant avec réserve et froideur à un éloge panaché de la littérature catalane, à laquelle il a fait lui-même une place plus que modeste dans sa volumineuse Histoire critique de la littérature espagnole. De toutes ces pièces d’éloquence, il appert que les académies de Madrid récompensent les écrivains d’origine catalane des services par eux rendus aux lettres castillanes, et qu’ils y sont reçus quoique Catalans.

On voit que la muse des auteurs cosmopolites, dont M. Balaguer est le chef, est bonne fille et d’humeur accommodante. Plus fiers et plus jaloux sont les purs et les archaïstes : les premiers ne traitent que des sujet-catalans et rejettent sans merci tout mot suspect, toute locution douteuse, employant une forme toute personnelle, mystérieuse et cabalistique : les autres, de peur d’introduire dans leurs laborieuses compositions des élémens hétérogènes, poussent l’amour de l’archaïsme jusqu’à calquer servilement les anciens troubadours. Ce sont des revenans qui, avec beaucoup de savoir et peu de goût, ne ressemblent guère à leurs modèles. L’anachronisme systématique fausse toute théorie littéraire, et le retour au moyen âge ne peut être qu’un mouvement régressif, le contraire du progrès.

Pourquoi la jeunesse dorée de Barcelone, qui affecte de se proclamer catholique, a-t-elle misérablement échoué dans sa ridicule croisade contre la maintenance des jeux floraux, qu’elle accusait