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évalue à 350 ou 400 francs les frais d’exploitation, il reste un bénéfice de 800 francs environ par hectare ; or la constitution du vignoble n’a pas dû coûter plus de 3,500 à 4,000 francs par hectare. le sorte que le rendement net atteindrait 20 pour 100. Ce chiffre est assez beau et séducteur : il faut, toutefois, considérer que ces 20 pour 100 doivent contenir un amortissement rapide. Si, en effet, le phylloxéra frappait le vignoble au début de la période de production, s’il agissait d’une façon foudroyante comme dans certains districts du Midi, il faudrait dire adieu à tout revenu. Les frais de l’établissement de la vigne seraient perdus, sauf la valeur amoindrie de la terre et la valeur longtemps stérile du magasin et de la vaisselle vinaire. Il s’agit ici, en réalité, non pas d’une culture paisible, régulière, assurée contre tous les grands fléaux, mais d’une véritable industrie et d’une des plus chanceuses qui soient. Ces 20 pour 100 représentent donc un revenu industriel : parfois, avec beaucoup d’habileté et de bonheur, le rendement peut être plus élevé, double même dans certaines années. Mais, pour arriver à ce taux moyen, il faut déjà réunir à un haut degré ces deux conditions de bonheur et d’habileté.

La Tunisie ne se prête pas, dans les circonstances présentes, à l’installation de petits propriétaires français. Un jour viendra sans doute, par le morcellement des grands domaines, où, quand la culture sera plus développée, mieux assurée, il sera possible de faire une part aux petits propriétaires ruraux européens. Aujourd’hui ceux qui y viendraient seraient absolument désorientés, perdus au milieu d’indigènes, sans aucun appui, sans voisins, sans débouchés; ils languiraient et bientôt auraient disparu. Il n’existe pas dans l’ancienne régence de l’Est de ces centres artificiels, comme ceux que la colonisation officielle a créés de toutes pièces et avec un succès médiocre en Algérie. Quelques-unes des grandes compagnies foncières, celle de l’Enfida notamment, pourraient établir quelques villages de ce genre ; mais il y faudrait beaucoup de dépenses, et les résultats obtenus en Algérie par ce procédé sont trop peu tentans. Le petit cultivateur ne peut avoir d’emploi en Tunisie que comme salarié ou contremaître; il faudra dix ou quinze ans pour que la petite propriété européenne, en dehors du moins des potagers de la banlieue des villes, puisse naître à l’état viable. Il est vraisemblable, d’ailleurs, que pendant une longue série d’années, peut-être un siècle ou davantage, notre possession de l’Est offrira un caractère tout différent de celui de sa grande voisine algérienne. L’avenir prochain qu’elle peut rêver, au point de vue du régime agricole, nous ne disons pas à celui de la main-d’œuvre, se rapproche du brillant passé des Antilles ; il en différera heureusement