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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/397

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que le Piémontais, il rend de précieux services aux colons. A l’étage supérieur se présente le Français, Languedocien le plus souvent, arrivant de l’Hérault, du Gard ou de l’Aude; c’est à lui qu’échoient les fonctions de contremaître ou de chef d’équipe : il y apporte sa grande entente de la culture de la vigne, son habileté, son entrain, sa confiance illimitée en lui-même, son optimisme imperturbable : il a des défauts aussi, contre-partie de ses qualités; enfant un peu gâté par la prospérité éblouissante dont a joui si longtemps le midi méditerranéen, par les idées et les mœurs démocratiques qui y règnent, il est susceptible, allier et capricieux, bon garçon d’ailleurs et pouvant être aisément conduit quand on connaît sa nature et qu’on use d’un peu de flatterie à l’endroit de son chatouilleux amour-propre plutôt que de menaces et de raideur.

Le malheur du Français en Tunisie, comme partout, c’est qu’il coûte trop cher. On paie l’Arabe 1 fr. 50 à 1 fr. 80, le Sicilien environ 3 francs par journée de travail effective, le Français ne revient guère, déduction faite des jours non ouvrables, à moins de 4 francs, 4 fr. 50 ou même 5 francs. Les contremaîtres, naturellement, et chefs vignerons reviennent à plus. Arabes et Siciliens se trouvent sous la main ; les uns sont indigènes de la contrée, les autres y immigrent spontanément ; il faut, au contraire, dans la plupart des cas, faire venir les Français aux frais du propriétaire qui, le plus souvent, ne les connaît pas personnellement et se trouve, moralement du moins, engagé à les garder pendant un certain temps. Ces circonstances font que l’on réduit considérablement le nombre des Français dans une exploitation : on en occupe huit ou dix contre deux ou trois fois plus de Siciliens et quatre ou cinq fois plus d’Arabes. Il faut donc nous attendre à ce que l’élément italien conserve la supériorité numérique en Tunisie. Ce n’est pas là un signe avant-coureur de catastrophes : si nous nous y prenons avec habileté, il n’en résultera pour nous aucun danger sérieux. Nous nous étions bien assimilé les Allemands d’Alsace ; nous pourrons aussi, par l’éducation et la langue, peu à peu rapprocher de nous la population d’origine italienne, qui n’atteindra jamais en nombre la population indigène et qui, d’ailleurs, est indispensable à notre œuvre colonisatrice[1].

  1. Le gouvernement ne doit négliger aucun moyen d’influence sur la population italienne en Tunisie. Or, au moment où nous écrivons, la commission du budget vient de réduire les crédits pour l’entretien du clergé français dans nos possessions françaises d’Afrique. On ne peut imaginer de plus antipatriotique ineptie. Le fanatisme de Louis XIV empêcha les protestans français de se porter vers nos colonies d’Amérique. Le fanatisme tout aussi sectaire et beaucoup moins excusable de nos députés, compromet la prépondérance française dans nos colonies africaines. Si nous voulons, — et c’est pour nous une question de conservation, — nous assimiler les colons espagnols en Algérie et les colons italiens en Tunisie, il faut entretenir, dans ces deux contrées, un clergé français nombreux et actif.