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patriotiques et aussi extravagantes? Les preuves qu’offrent à l’appui de leurs affirmations téméraires les auteurs de ce document sont des plus singulières, tout en paraissant aux esprits superficiels des plus décisives. En 1880, on n’enregistrait à Tunis qu’une faillite; en 1881, pas une seule; en 1882, on en constate deux, puis sept en 1883, quatorze en 1884, quinze en 1885 et six dans les trois premiers mois mois de 1886. Voilà qui est probant : autrefois, il y avait un régime commercial irrégulier; tout se passait à la « la bonne franquette; » on n’appliquait pas la loi sur les faillites et il n’y en avait pas; aujourd’hui on l’applique et il y en a. Le nombre des commerçans aussi a augmenté, surtout des Européens, ceux qui, à peu près seuls, sont soumis au régime de la faillite, et l’on voit les dépôts de bilans devenir plus nombreux. Aux États-Unis, il y a beaucoup de faillites et à La Plata; nous sommes certains que dans dix ans, à Tunis, le nombre des faillites sera plus considérable qu’aujourd’hui. Quoi d’étonnant, d’ailleurs, que, dans les cinq premières années de la colonisation, il se rencontre des mécomptes ? Des commerçans qui n’ont pas assez réfléchi, qui ne possèdent pas assez d’avances, qui ne connaissent pas les besoins du pays, viennent tenter la fortune dans une contrée neuve, et ils ne la trouvent pas; c’est le train habituel de la colonisation. De même que, sur un sol neuf, les pionniers paient leur tribut à la fièvre, de même aussi un commerce nouveau ne peut éviter de payer tribut à la faillite. Il y a, cependant, à Tunis une cause spéciale de dépôts de bilans : c’est la facilité qu’y trouve la mauvaise foi de certains commerçans, soit indigènes soit israélites. On fera bien d’appliquer avec quelque rigueur nos lois françaises sur la banqueroute simple et la banqueroute frauduleuse[1].

Les membres de la chambre de commerce de Tunis comparent le mouvement du commerce extérieur de l’ancienne régence pendant les dix dernières années, et ils arrivent à cette conclusion singulière que la Tunisie s’appauvrit. Suivez leur raisonnement, qui reproduit toutes les vieilles erreurs vingt fois réfutées. Le chiffre des importations dans la régence, avant l’occupation française, variait entre un minimum de 8,400,000 francs pour l’exercice 1876-1877 et un maximum de 12,600,000 francs pendant l’année 1878-1879; pour les cinq années qui expirent en 1880, le total des importations atteignait 54,600,000 francs, soit une moyenne de 11 millions en chiffres ronds par année. De 1881 à 1885, ces chiffres augmentent considérablement; l’importation atteint au total, pour ces cinq années, 118,200,000 francs, soit une moyenne de près de

  1. Voir à ce sujet l’article intitulé Mémoire sur la situation commerciale à Tunis et Causes de sa stagnation actuelle, par M. Jacques Médina. Tunis, 1880.