de passions et d’intérêts, végétant dans cette « demeure interdite » où l’horizon de la pensée paraît aussi borné que celui de la vie, étouffant dans une atmosphère que l’air du dehors ne vient jamais renouveler et où semble flotter cet ennui lourd et oppressant dont on se mourait jadis à l’Escurial pendant les années sombres du règne de Philippe II.
Et je me disais pourtant qu’il n’y a pas de coin du monde si renfermé où ne finissent par pénétrer la lumière et le mouvement de la vie. Je me rappelais en effet, maintenant, un drame qui avait ensanglanté le palais impérial, il y a six ans déjà, sur lequel mille bruits contradictoires avaient couru et dont la Gazette de Pékin avait confirmé la réalité à travers les sous-entendus et les détours de son langage officiel : un jeune Chinois avait été surpris s’introduisant de nuit dans la chambre même de l’impératrice, il avait été arrêté par les eunuques, jugé sommairement et mis à mort dans sa prison : c’était un fou, disait la Gazette officielle, un fanatique qui voulait attenter aux jours de la souveraine, puis le silence s’était fait sur cet incident. Mais bientôt des disgrâces imprévues, des disparitions subites se produisaient dans les hauts rangs de la cour, et même un prince du sang, qui avait la confiance particulière de l’impératrice, se voyait accusé de haute trahison au conseil des censeurs. Le lendemain de la dénonciation, il fut trouvé mort, et l’on répéta qu’il s’était empoisonné a en aspirant des feuilles d’or. » Dès lors, le jour se fit sur ces faits mystérieux et l’on sut, à n’en pouvoir douter, que le jeune Chinois arrêté dans les appartemens impériaux n’y venait point pour la première fois et que ce prince du sang lui en facilitait l’accès...
Évoqué à Pékin même, dans le silence profond de cette nuit claire d’avril, le souvenir de ce drame sanglant avait une grandeur tragique, une puissance d’émotion que je ne peux rendre. Les personnages qui y avaient tenu des rôles me semblaient présens devant moi, mais avec ce changement d’optique que subissent les acteurs en scène, — l’impératrice en robe jaune orange parsemée de dragons d’or planans sur des nuages roses, avec sa coiffure édifiée à la mode tartare et ornée de pivoines rouges, de perles et de deux petits sceptres dorés, — et, à côté d’elle, son amant, un jeune élégant, vêtu sans doute comme ceux que je rencontrais dans les quartiers de plaisir de la cité chinoise, en robe de soie bleu clair couverte de rosaces de fleurs, avec deux boucles flottantes sur les tempes, la tresse parfumée de musc et soigneusement nattée de soie, et les ongles démesurément longs enfermés dans de fins étuis d’or. Le décor même était tout dressé comme pour achever l’illusion, et je pensais que le roman de leur amour s’était déroulé par