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les péripéties, a fini par devenir une assez sérieuse affaire européenne. Qu’en sortira-t-il maintenant ? Comment se dénouera cette crise qui est bien une des plus étranges et peut-être un des plus dangereux épisodes de cette éternelle question d’Orient ?

Assurément quand les Bulgares et les Rouméliotes faisaient il y a un an leur révolution de Philippopoli pour l’union des deux principautés, il était facile de voir que de singulières complications pouvaient naître de cette révolution, qui détruisait ce que le congrès de Berlin avait fait dans les Balkans et qui allait mettre en ébullition tous les autres états orientaux. C’est ce qui ne manquait pas d’arriver ; les événemens de Philippopoli avaient aussitôt leur contre-coup en Serbie, en Grèce, même dans les provinces ottomanes limitrophes, et causaient d’étranges soucis à l’Europe, gardienne embarrassée du traité de Berlin. Un instant, il est vrai, le prince Alexandre de Battenberg, dans sa guerre avec la Serbie, semblait trancher par ses victoires la question à son profit et au profit de l’union bulgare. Il avait le succès pour lui, il avait la popularité du victorieux, d’un jeune héros de l’indépendance des Balkans ! Rien n’était encore fini cependant ; c’était, au contraire, le commencement d’une situation nouvelle où allait se dévoiler la véritable difficulté. Ce qui semblait être un fait accompli, que la diplomatie n’avait plus qu’à enregistrer de bon ou de mauvais gré, n’était pas un fait accepté partout. La révolution bulgare était surtout très peu acceptée par la Russie, qui, en paraissant rester d’accord avec les autres puissances pour le règlement de toutes les affaires orientales, n’a pas visiblement cessé un instant de prétendre à une prépondérance particulière dans les Balkans. La Russie a pu se contenir d’abord et se prêter à tout ce qu’on a voulu, à des temporisations, à des conférences, à des apparences de transaction. En réalité, elle s’est sentie atteinte par des événemens qui s’étaient accomplis en dehors d’elle, en partie contre elle, qui, en paraissant donner une forme nouvelle à l’indépendance des Balkans, mettaient en doute ses privilèges, son protectorat traditionnel, tous les intérêts de sa politique en Orient. Elle a vu de plus une influence rivale, l’influence anglaise, à l’œuvre dans tout ce qui passait en Bulgarie, et, comme si ce n’était pas assez, à toutes ces raisons politiques de l’opposition russe est venue se joindre une de ces raisons intimes qui ont toujours leur place dans les affaires humaines : cette raison intime, c’est l’animosité personnelle, violente, implacable de l’empereur Alexandre III contre le prince Alexandre de Battenberg. Dèe ce moment, a commencé cet étrange imbroglio qui se prolonge depuis quelques mois, où la Russie s’est engagée avec une sorte d’âpreté, avec l’intention bien évidente u’aller jusqu’au bout, de vaincre tous les obstacles, de ressaisir sa prépondérance un instant mise en doute dans les Balkans.

Rien, certes, de plus curieux, de plus intéressant que cette lutte