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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/480

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le gouvernement, en laissant entrevoir au besoin, si on ne cède pas, la menaçante éventualité d’une occupation russe. Or c’est ici justement que la question pourrait se compliquer et s’aggraver si, dans cette lutte inégale qu’elle a engagée avec un petit peuple, la Russie se laissait entraîner à une occupation militaire de nature à inquiéter d’autres puissances également intéressées à l’équilibre et à la paix de l’Orient.

On peut sans doute, pour rester dans la vérité et l’impartialité, admettre que la Russie ne se considère pas comme une étrangère dans les Balkans, dans cette Bulgarie qu’elle a, en définitive, affranchie il y a huit ans par ses armes. Elle a des traditions de politique auxquelles elle ne renonce pas, un droit ou des privilèges particuliers d’influence qu’elle a tenu à exercer, ne fût-ce que pour ne pas les laisser périmer. C’est probablement pour faire reconnaître une fois de plus ce droit qu’elle est allée cet été à Carlsbad ou à Gastein au moment où la crise bulgare allait entrer dans une phase plus aiguë, à la veille du coup d’état qui devait emporter le prince Alexandre et son éphémère royauté. C’est avec une sorte de consentement ou de tolérance tacite de ses alliés, tout au moins de l’Allemagne, qu’elle s’est dès lors plus vivement engagée. Jusqu’ici, elle a pu tout faire pour ressaisir son influence, pour prendre sa revanche de ce qu’elle considérait comme un échec pour sa politique dans les Balkans ; mais il est bien clair qu’elle ne pourrait dépasser une certaine limite, aller par exemple jusqu’à l’occupation, sans provoquer d’assez sérieuses complications, sans rendre aussitôt à ces affaires de Bulgarie un caractère tout européen. M. de Bismarck, lui-même, en sacrifiant beaucoup pour retenir la Russie dans son alliance, en facilitant au gouvernement du tsar la campagne qu’il a entreprise en Bulgarie, n’a point sûrement entendu s’engager sans condition et sans réserve. Le chancelier de Berlin a fait face, il y a trois mois, aux difficultés du jour en se promettant de trouver d’autres moyens de faire face aux difficultés du lendemain. Que la question soit devenue aujourd’hui assez grave pour émouvoir l’opinion, pour tenir en éveil l’attention des cabinets, c’est ce qui n’est point douteux, et c’est justement ce qui fait l’intérêt de ces récentes manifestations qui se sont produites, soit à Pesth par les discours des présidens des délégations austro-hongroises ou de l’empereur François-Joseph lui-même, soit à Londres par le discours de lord Salisbury au banquet de Guildhall. Que pense l’Europe, ou plutôt, puisqu’on dit qu’il n’y a plus d’Europe depuis longtemps, que pensent les principaux cabinets de tout cela ? Où en sont-ils de leurs impressions sur ces affaires de Bulgarie, d’où dépend pour le moment la paix universelle ? Les gouvernemens européens, à n’en pas douter, ont de singulières perplexités qu’ils ne déguisent même pas toujours. L’Autriche, qui est la puissance la plus intéressée à l’équilibre oriental, n’est point évidemment sans se préoc-