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monte lentement dans l’air tranquille, les premières constellations que la nuit ramène, au bas du ciel, au ras de la mer.


Orianda, Aloupka, Siméïs, 17-19 septembre.

Ces jours derniers, j’ai visité la plus riche, la plus belle partie de la côte, celle où s’élèvent les plus magnifiques résidences, entre Yalta et Siméïs. Je ne veux pas multiplier les descriptions ; elles seraient monotones, elles ne peuvent rendre la diversité de ces tableaux faits des mêmes élémens, placés dans le même cadre, et toujours changeans, toujours surpassés par le dernier qu’on voit. Je dois pourtant dire quelques mots de deux endroits célèbres, Orianda et Aloupka. On ne peut vivre en Russie sans entendre parler sans cesse, avec toutes les formules de l’enthousiasme, de ces joyaux de la Crimée. Cette préparation irrite la curiosité et la rend terriblement exigeante ; elle n’est pas déçue par la réalité.

Orianda, propriété du grand-duc Constantin, est située à une petite distance, sur la droite de Yalta. On s’y rend en traversant le domaine impérial de Livadia, qui serait fort admiré partout ailleurs, et qui pâlit ici devant ses opulens voisins. A Yoursouf, l’art et la fantaisie de l’homme ont décoré un nid gracieux ; à Orianda, la nature a tout fait, et elle a fait très grand. Plus de vignobles, plus de cultures, très peu de jardins ; une puissante forêt de chênes, accrochée aux crêtes du Yaïla, déroulée sans interruption, avec des plis de draperie d’une beauté sculpturale, jusqu’aux premières vagues de la mer ; déchirée çà et là par d’énormes saillies de roches, par des pans de montagne écroulés qui profilent sur les eaux leurs attitudes d’une hardiesse menaçante. Tout est contraste entre des impressions que l’œil n’a pas coutume d’associer. Dans le ciel et sur l’horizon marin, une lumière d’Afrique ; sous les voûtes d’arbres et de rochers, de fraîches ténèbres, les accidens et la végétation d’une vallée des Alpes. Sur le rivage, un sol convulsé de colère, les membres de ces grands squelettes culbutés pêle-mêle ; à leurs pieds, sans même un cordon de plage qui fasse transition, la nappe d’azur endormie, cette mer d’une sérénité immuable, comme le fond de certaines âmes et le bleu de certains yeux. Dans le creux des ravins étranglés entre les quartiers de montagne, des cascades bruissent et se précipitent. Trois voix se marient et forment un concert perpétuel : le chuchotement de ces sources, le souille du vent dans les cimes des arbres, les répons égaux de la vague sur les galets ; les deux dernières dominent tour à tour, suivant que gronde plus fort la houle du large ou le vent de la forêt. Telles les voix alternées qui célèbrent la gloire de la terre dans les hymnes du Psalmiste. Parfois, un carillon de bronze jette