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attaquant de face un culte mauvais, en détruisant et supprimant les dieux méchans ; soit en améliorant le dieu particulier sans changer son nom, en le ramenant peu à peu au type du Dieu universel. L’aristocratie morale d’Israël était si profondément pénétrée par l’idée du culte pur qu’elle réussit à faire de Iahvé le Dieu absolu. Ce funeste nom propre de Iahvé, elle a fini par le supprimer en le déclarant imprononçable. Pareille fortune n’arriva ni au Camos des Moabites, ni au Rimmon des Ammonites, ni au Salm des Arabes, ni même à Baal, ni à Milik. De même, le temple de Jérusalem, qui semblait le plus grand malheur au point de vue de l’élohisme pur, finit par servir au développement de l’idée religieuse. Le Décalogue fut écrit probablement dans les chambres qui entouraient le temple. Plusieurs fois, dans son histoire, Israël est arrivé à aimer ce qu’il avait d’abord haï et à faire contribuer à son œuvre ce qui pouvait y sembler le plus contraire. Même Iahvé a plié sous ce génie de fer. Une idole, un faux Dieu, s’il en fut, est devenu, sous l’action constante d’une intense volonté, le seul Dieu véritable, celui qu’on sert en étant juste, qu’on honore par la pureté du cœur.

Nous avons expliqué[1] comment, selon toutes les apparences, la fusion des deux histoires saintes se fit, après la destruction du royaume de Samarie, vers la fin du règne d’Ézéchias. Dans l’Histoire sainte unifiée, la partie législative était représentée par le Livre de l’Alliance, conservé intégralement, et par le Décalogue, tel qu’il est aujourd’hui dans l’Exode. On peut admettre que le code du temps d’Ezéchias se terminait par le cantique qui occupe aujourd’hui le chapitre XXXII du Deutéronome, morceau mis dans la bouche de Moïse, et dont la rhétorique rappelle bien celle des prophètes de l’époque classique. One seule pensée résume ce morceau : le bonheur ou le malheur d’Israël seront toujours en proportion de sa fidélité à la loi de Iahvé.

Il n’est sûrement pas impossible que l’Histoire sainte du temps d’Ézéchias ne renfermât quelques autres prescriptions amenées par la formule : « Et Dieu dit à Moïse… » Le temple pouvait dès lors avoir des règlemens écrits, les ordonnances sur les lépreux, la liste des choses impures, par exemple[2]. Quand les railleurs, pour se moquer des prophètes, allaient répétant sur leur passage d’un ton nasillard : Qav-laqav, sav-lasav[3], « règles sur règles, lois sur lois, » c’était bien le commencement de la casuistique

  1. Voyez la Revue du 15 mars.
  2. Ces deux morceaux tels qu’ils figurent dans les chapitres XI, XIII et XIV du Lévitique sont antérieurs au Deutéronome.
  3. Isaie, XXVIII, 10.