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séducteur. L’enquête ayant été faite, si l’accusation se trouve vraie : « Vous ferez passer au fil de l’épée les habitans de cet endroit, en les mettant au herem avec tout ce qui s’y trouve et en égorgeant les bêtes ; puis vous amasserez tout le butin au milieu de la place et vous brûlerez la ville et tout le butin comme un holocauste à Iahvé. La ville sera à jamais un monceau de ruines, elle ne sera pas rebâtie. »

On frémit quand on songe que, dans ces sortes d’enquêtes, il suffisait de la dénonciation de deux ou trois témoins, avec la garantie assez illusoire que les témoins jetteraient la première pierre. Deux personnes qui s’entendaient pouvaient perdre un homme sans appel. Au VIIe siècle avant Jésus-Christ, nous croyons que ces textes-là ne tuèrent personne. C’étaient des utopies, prouvant beaucoup de naïve imprudence chez ceux qui les rêvaient ; ce ne furent pas des lois réelles, régulièrement appliquées. C’est déjà beaucoup qu’il y ait eu des fanatiques pour faire ces mauvais rêves. Deux mille ans plus tard, ces textes malsains devaient porter leurs fruits. Ils envoyèrent, en particulier, au bûcher, des foules de malheureux Israélites. Notre Occident, avec sa lourde bonhomie, n’a pu comprendre que, par simple figure de style et par hyperbole, on ait écrit de telles horreurs, avec l’arrière-pensée qu’il n’y aurait personne pour les appliquer et les prendre au sérieux. Le terrible Directorium inquisitorum de Nicolas Eymeric est calqué sur le Deutéronome, et cette fois, des milliers d’infortunés furent victimes de la coupable légèreté de notre rêveur.

Les institutions judiciaires étaient, du reste, la partie la plus défectueuse de ces vieux codes. L’ordalie, base du Livre de l’Alliance, n’est pas commandée dans le Deutéronome ; mais dans les cas difficiles, on doit aller à Jérusalem exposer l’affaire aux prêtres lévites et au juge du temps ; celui qui ne leur obéirait pas doit être mis à mort[1]. D’autres textes prouvent, du reste, que l’ordalie, en particulier celle des eaux amères pour la femme accusée d’adultère, continuait d’être en usage[2].

La conception de la royauté est bien celle que devait se former un anav, un ébion, ennemi du faste et de l’apparat. Le roi sera choisi par Iahvé ; il sera choisi parmi ses frères d’Israël. Le luxe des chevaux est signalé comme un danger ; si le roi s’y abandonnait, il serait capable, pour s’en procurer, de ramener le peuple en Égypte. Or, c’est là un chemin qu’il ne faut plus reprendre[3].

  1. Deut., XVII, 8-13.
  2. Nombres, V, 11 et suiv., loi ancienne.
  3. Allusion aux essais d’alliance égyptienne, qui furent la grande préoccupation du règne de Josias, et auxquels Jérémie fut toujours opposé.