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aux mines, la fortune aux spéculations hardies, mais leur subsistance à la terre et quelques économies pour leurs vieux jours.

Jusqu’ici ils se sont abstenus. La Californie était trop loin, le voyage trop coûteux, l’avenir trop incertain ; puis ils ont appris par les journaux, par les lettres, par les récits au village, que tout se payait au poids de l’or à San-Francisco, que les légumes y étaient introuvables, les pommes de terre à 1 franc la pièce, les œufs à 15 francs la douzaine, le beurre à 5 francs la livre, et que cependant le bétail était abondant, la terre à qui voulait, le climat sain. Ils ont vendu leur champ et ils sont venus. Fermiers de l’ouest des États-Unis, géans osseux et maigres, escortés de la ménagère, de quatre ou cinq fils vigoureux, sans compter les filles qui valent des hommes ; paysans du comté de Galles, Irlandais affamés, robustes Écossais, cultivateurs de la Bretagne et de la Provence, vignerons du Bordelais et du midi, maraîchers de la banlieue de Paris, Italiens secs et nerveux, Allemands lourds et résistans à la fatigue, gens de toute race et de tous climats, ils ont suivi ce grand courant qui les déracine du sol natal et les emporte vers l’Ouest.

Dans ces plaines où la vie latente frémissait en hautes herbes ondulant à la brise, s’épanouissait en fleurs sans nombre, tapis diapré de mille nuances, s’élançait vers le ciel en arbres de cent mètres de hauteur et de dix de diamètre, la terre recelait plus et mieux que de l’or : une puissance de végétation incomparable, un humus vierge et fécond qui n’attendait que la main de l’homme pour récompenser son travail au centuple. Vingt millions d’hectares de terres labourables offraient à l’agriculture un champ immense. De vastes forêts de pins, de cèdres, de lauriers, de madronas, de chênes, de sycomores couvraient les pentes de la Sierra-Nevada, des montagnes du Coast-Range, de Santa-Lucia et de Monterey. Sous leurs épais ombrages erraient en liberté l’ours gris et l’ours noir, le chat sauvage, les loups, les coyotes, les daims, les antilopes ; lièvres, lapins, écureuils foisonnaient. Sur les eaux de la baie, les canards et les oies sauvages, puis, dans les plaines, les cailles, perdrix, tourterelles, oiseaux de toute taille et de tout plumage, depuis le vautour californien mesurant dix pieds d’envergure jusqu’au minuscule oiseau-chanteur.

Les seuls animaux redoutables étaient les ours gris et noirs, le premier surtout, tellement abondant que sa chair figurait pour une part considérable dans l’alimentation. On le rencontrait aux environs mêmes de la ville ; il peuplait les forêts du Coast-Range, se nourrissant de racines et de tubercules, s’attaquant aux troupeaux, quelquefois à l’homme quand il était surpris ou poussé par la faim. Sa force énorme et sa grande taille en faisaient un adversaire redoutable. L’ours gris de Californie mesure d’ordinaire quatre pieds de