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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/616

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les débuts de Virginia-City. Nous allions tous dans les rues, mis comme des mendians ; à peine prenait-on le temps de se vêtir, de boire et de manger. Notre vie se passait dans les puits, dans les galeries, dans les excavations. Quand on se rencontrait, on ne parlait que de filons, essais, minerais d’argent. On était à la veille de l’élection du président des États-Unis, la guerre civile pouvait éclater, suivant le nom qui sortirait de l’urne, et elle éclata en effet ; mais, de tout cela, on n’avait cure. On ne voyait que mines ; on en causait le jour, on en rêvait la nuit, et les ventes, les achats, les projets, les illusions allaient leur train. A peine si le soir les maisons de jeu ouvraient un moment leurs portes et si les joueurs y échangeaient quelques coups de revolver ; c’était bon naguère, mais cette fois on n’avait qu’une idée : vendre, acheter, puis racheter et vendre encore des pieds de filon. Tous, nous devions faire fortune ; tous, nous étions riches, et souvent nous n’avions pas même de quoi payer notre dîner. »

De tous côtés, en effet, on accourait à Virginia-City, mais cette immigration ne ressemblait en rien à celle qui avait envahi la Californie en 1849 et depuis. Si les mineurs affluaient, les capitalistes de San-Francisco étaient aussi largement représentés. Bon nombre d’entre eux achetaient au hasard, sur des renseignemens vrais ou faux. Plus de trois mille compagnies minières se fondèrent avec un capital nominal de 5 milliards de francs ! Les actions minières portaient le nom de pieds, chacune d’elles représentant un pied linéaire de filon (30 centimètres sur toute sa profondeur). On vit alors un agiotage effréné. Un pied de la mine Gould-et-Curry vendu, au début, 50 francs, atteignait 2,500 francs en mars 1862, 5,000 en juin, 7,250 en août, 12,500 en septembre, 16,000 en février 1863, 22,000 en juin, 28,000 en juillet. La compagnie Hale et Noseross donna des résultats plus surprenans encore ; ses actions montèrent à 60,000 francs avant qu’aucun dividende fût acquis. Pour la mine Chollar-Potosi, en revanche, les actionnaires touchaient 25, 50 et 75 francs de dividende par mois, alors que les actions n’étaient encore cotées que 400 et 425 francs à la Bourse de San-Francisco.

Sur le marché minier de la Californie, le prix des actions est infiniment plus élevé, alors que la mine ne rend encore rien, que lorsqu’elle commence à donner un dividende. Tant que l’on est dans la période d’organisation et de travaux préliminaires, l’imagination se donne pleine carrière. Les bénéfices entrevus sont sans limites, comme ils sont sans contrôle. On se trouve en présence de l’inconnu, et chacun de le calculer à sa guise. Il n’en va plus de même quand les premiers résultats de l’exploitation sont connus. Si riches qu’ils soient, ils ont une limite précise, pour l’heure présente tout au moins, et lors même qu’ils donnent plus de 100