Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/623

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne s’arrêtèrent, épuisés, qu’à la nuit, donnant à l’endroit qu’ils avaient atteint le nom de Challenge point, ou lieu du défi, défiant leurs rivaux d’accomplir en une journée un pareil tour de force. Le lendemain, les équipes de l’Union ainsi provoquées achevaient la pose de 12 kilomètres, mais les travailleurs californiens, résolus à l’emporter dans cette lutte d’un nouveau genre, posaient, le 28 avril, 16 kilomètres de rails en onze heures de travail ininterrompu et s’arrêtaient à Victory Point.

Entre l’extrémité de chacun des deux tronçons, on avait laissé libre un espace d’environ cent pieds. Deux escouades composées d’Irlandais du côté des unionistes, et de Chinois du côté des centraux, en tenue de fête, s’avancèrent pour effectuer le raccord. Dans les deux camps on avait choisi l’élite des travailleurs. Les Chinois, graves, silencieux, alertes, s’entr’aidant adroitement, provoquaient l’admiration générale. « Ils travaillent comme des prestidigitateurs, » s’écria un témoin oculaire, et, pour qui a vu avec quel art les Chinois opèrent dans les plus petites choses, cette expression est parfaitement juste.

Le raccord opéré, deux locomotives se dirigèrent à la rencontre l’une de l’autre, se saluant de leurs sifflets stridens. Un dernier rail restait à placer. Il reposait sur une traverse de laurier. Le délégué de la Californie offrit aux présidens des deux compagnies, MM. Stanford et Durant, la traverse, un boulon en or massif et un marteau en argent : « Cet or vient de nos mines, ce bois précieux de nos forêts. L’état de Californie vous les remet pour qu’ils fassent partie intégrante de la grande voie ferrée qui va relier l’Océan-Pacifique à l’Océan-Atlantique.

Le délégué de l’Arizona offrit ensuite un boulon de fer, d’or et d’argent : « L’Arizona, dit-il, riche en fer, en or et en argent, vous remet cette offrande destinée à compléter la grande œuvre des communications interocéaniques. » Puis les deux derniers rails furent posés sur la traverse et les deux présidens s’avancèrent pour fixer les boulons. Un appareil télégraphique transmettait aux États-Unis comme en Californie tous les détails de la cérémonie et les discours prononcés. Au moment de la pose des boulons, le message suivant fut expédié sur les rives des deux océans : « Tous les préparatifs sont terminés, découvrez-vous et invoquez avec nous la bénédiction d’en haut. » Au nom des états de l’Est, Chicago répondit : « Nous vous suivons en pensée ; tous les états de l’Est ont reçu votre message, attentifs et recueillis, ils attendent. » Quelques instans après, chaque coup de marteau, exactement répété par les signaux électriques, apprenait à toutes les villes de l’Union américaine que la grande œuvre était achevée. Partout des salves d’artillerie et des réjouissances publiques saluaient cette mémorable journée. La voie