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courrier était porteur ne pouvant dépasser deux cents, le prix fut fixé à 25 francs la demi-once. Ce service ne pouvait pas être absolument régulier ; les Indiens arrêtèrent souvent le messager pour le dépouiller ; ils attaquaient les stations, volaient les chevaux de relais et pillaient les provisions, mais en dépit de ces obstacles il donna d’excellens résultats.

Quand le voyageur parti de New-York par la voie ferrée, après avoir franchi à toute vitesse le Great American Désert, cette plaine maudite que recouvre un linceul de sable et de poussière d’alcali, le défilé des cèdres et la vallée du Humboldt, arrive à Palissade station dans le Nevada, et qu’il aperçoit sur le quai deux hautes murailles de lingots d’argent attendant qu’on les charge sur les trucs du chemin de fer, des millions empilés comme des briques au milieu du désert, il a déjà un avant-goût des surprises que lui réserve la Californie. Il en conclut, lui aussi, que la prose de la vie quotidienne et les féeries des Mille et une nuits se coudoient dans le Far West. Il comprend ce qu’il a fallu d’efforts et d’énergie pour surmonter les obstacles que la nature opposait à l’homme dans sa marche irrésistible vers l’ouest. Quand après avoir gravi lentement les âpres rampes de la Sierra Nevada, il atteint Summit, le point culminant de la voie, à 7,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, et découvre, entre les cimes de granit qui l’entourent, les plaines de l’El Dorado, inondées de soleil, il voit se dérouler à ses pieds des pentes aux contours arrondis, rayées de lignes blanches. Ce sont les torrens artificiels, créés par les mineurs, amenant l’eau sur les champs d’exploitation. A mesure qu’il avance, le terrain coupé de tranchées est sillonné de digues ; aux pentes boisées succèdent des gorges couvertes d’arbustes et de chaparrals, puis les ponts de treillis sur lesquels on traverse l’American River. A l’horizon, un petit nuage gris se dessine, c’est San-Francisco. En sept jours, on a franchi cette énorme distance qui exigeait, il y a trente ans, un voyage de six mois.

C’est le 28 avril 1869 que fut terminée cette œuvre gigantesque qui reliait enfin les rives du Pacifique à celles de l’Atlantique. Le 10 mai suivant, on célébrait en grande pompe le raccord des deux tronçons simultanément entrepris à l’est et à l’ouest, et poussés avec une activité fiévreuse par les deux compagnies l’Union et le Central. La première dirigeait les travailleurs qui, des États-Unis s’avançaient vers le Pacifique ; la seconde, marchant à sa rencontre, avait successivement franchi la vallée du Sacramento, la Sierra, et, débouchant dans les plaines de l’Utah, atteignait le 41e degré de latitude nord et le 114e de longitude ouest. A mesure qu’ils se rapprochaient, les ouvriers des deux compagnies luttaient d’efforts pour se surpasser et atteindre les premiers le but assigné. En une seule journée de travail ceux du Central posèrent 10 kilomètres de rails