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étrangères. Si l’or y est abondant, la vie large et facile, la charité aussi y est inépuisable et vient en aide, sans acception de race et de nationalité, à tous ceux qui souffrent.

Cette force d’expansion qui caractérise le Californien, et surtout l’habitant de San-Francisco, ne se révèle pas moins par sa remarquable faculté d’essaimer, de porter au loin l’ensemble d’idées, de traditions qui font de lui un être essentiellement cosmopolite. Pour s’établir sur cette plage lointaine à une époque où les communications étaient si difficiles, il lui a fallu rompre avec tous les liens qui attachent l’homme au sol natal : liens de famille, d’affection, de souvenir, parfois même d’intérêt et d’avenir. Ces liens rompus par lui, il n’a pu en enseigner le culte à la génération qui le suit. Ce qu’il lui a appris, c’est l’amour de l’indépendance, de la vie libre, son droit à disposer de sa destinée, à livrer, sur le terrain de son choix, la lutte pour l’existence. De là, pour tout Californien, une grande facilité à se déplacer, à émigrer, au Chili ou au Pérou, au Japon ou aux Indes. Physiquement, la race est merveilleusement préparée et adaptée à ce mode de vie. Ces émigrans de 1849 à 1855 étaient tous des hommes dans la force de l’âge, vigoureux et robustes. Il fallait l’être de toute façon pour affronter ces épreuves et vivre de cette vie. Leurs descendans les valent. On climat sain, un air vif, une existence active, ont fait d’eux aussi des hommes énergiques et résolus. A San-Francisco, l’on vit beaucoup au dehors. La marche, l’équitation, la navigation sont les distractions les plus usitées et les plus recherchées de la jeunesse.

La vie matérielle est aujourd’hui abondante et bon marché. On vit mieux et à meilleur compte à San-Francisco que nulle part ailleurs. Poisson, gibier, viande de boucherie, légumes, fruits, y sont excellens et à très bas prix. Dans les maisons les plus simples, chez les gens de condition modeste, la table est relativement excellente. Dans les hôtels, elle est somptueuse, et, pour 15 francs par jour, on y est parfaitement traité.

La vie sociale est ce que l’on doit attendre du point de départ de cette civilisation et du milieu dans lequel elle se développe. Ce qui frappe l’étranger de prime-abord, c’est la cordialité avec laquelle on l’accueille et l’égalité sociale qui règne à San-Francisco. Cette égalité ne tient pas uniquement aux traditions républicaines des États-Unis. On ne la trouve ni à New-York, où domine une aristocratie d’argent, ni à Boston, où règne une aristocratie de naissance, ni dans les états du sud, où survit une aristocratie de race. Elle tient à des causes multiples et locales. Ici chacun est fils de ses œuvres, artisan de sa propre fortune. Chacun sait que les chances sont les mêmes pour tous. Pas de grandes fortunes héréditaires en terres ou en rentes, pas de hautes positions à l’abri de tout revers.