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débats passionnés qui s’étaient engagés dans les chambres à Stuttgart et à Munich. De l’adoption des conventions économiques et des traités d’alliance dépendaient l’hégémonie militaire, politique et commerciale de la Prusse en Allemagne, et, dans un temps donné, la couronne impériale. L’enjeu de la lutte expliquait la pression violente, révolutionnaire, que le cabinet de Berlin exerçait sur les délibérations des parlemens au de la du Main. La France servait de bouc émissaire à ses agens occultes ou attitrés ; ils la représentaient vouée à l’impuissance ; ils la prenaient à partie dans les assemblées populaires; ils dénonçaient ses haines, ses jalousies et ses convoitises. La presse à gages outrageait ceux qui combattaient les traités, elle les accusait d’implorer l’intervention étrangère, elle les considérait comme des traîtres. Jamais, dans les deux royaumes du sud, on n’avait assisté à de pareils écarts de langage.

Les rois de Bavière et de Wurtemberg, dont les ancêtres avaient édifié leur fortune par les armes et par la diplomatie aux dépens du saint-empire, souvent au service de la France, en étaient réduits à forger de leurs propres mains les chaînes qui devaient les river aux Hohenzollern. Placés entre la révolution, qui menaçait de renverser leurs trônes, et la Prusse, qui, en échange de leur soumission, leur laissait tout ce qui est apparent dans l’exercice du droit de souveraineté, ils n’hésitaient pas : de deux maux ils choisissaient le moindre. Ils estimaient que « le mauvais est parfois acceptable et qu’il ne faut rejeter que le pire. » Pour affirmer une politique autonome, il leur aurait fallu l’appui d’une puissance étrangère, et ni la France ni l’Autriche n’étaient en état de rappeler l’ambition prussienne au respect du traité de Prague. Le programme du parti démocratique et les attaques de la presse avancée leur faisaient comprendre, mieux encore que les conseils et les menaces du cabinet de Berlin, la nécessité de se placer sous la puissante égide de la Prusse, qui devait l’éclat de ses succès à la tactique savante de ses généraux et à l’habileté audacieuse de sa politique.

Le roi Louis se désintéressait de la lutte, il trouvait que les réalités s’accordaient mal avec ses rêves. Il laissait mélancoliquement flotter les rênes de son gouvernement au gré de son imagination maladive ; parfois, il les ressaisissait fiévreusement pour les laisser retomber aussitôt, en proie au découragement. Il souffrait des atteintes que les victoires prussiennes avaient portées à sa couronne. « M. de Bismarck, disait-il un jour au marquis de Cadore avec un accent de vive amertume, veut faire de mon royaume une province prussienne; il y arrivera, hélas! petit à petit, sans que je puisse l’empêcher. » — « Le découragement du roi, écrivait M. de Cadore, provient de son caractère ; il est intelligent, il comprend