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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/646

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« Excellent seigneur, disait Titien, je sais combien vous aimez la peinture, combien vous l’encouragez, comme on le sait par Jules Romain. Messire Pietro Aretino, ou plutôt saint Paul, étant venu ici pour prêcher vos vertus, j’ai fait son portrait, et comme je sais que vous aimez un pareil serviteur pour tous ses mérites, je vous l’envoie. » Le marquis s’empressa de répondre le même jour à l’Arétin en le chargeant de remercier Titien et à Titien en le remerciant directement : « J’ai reçu les deux très beaux tableaux qu’il vous a plu de m’envoyer, et qui m’ont été vraiment très agréables… Je vous remercie donc infiniment… Quand je pourrai vous faire plaisir, je le ferai toujours volontiers, et je me tiens, dans tous vos besoins, tout à votre disposition. » Mais ce n’était pas seulement des paroles aimables que l’Arétin demandait aux grands seigneurs : il exigeait des politesses palpables et bien sonnantes. Le marquis, qui le connaissait, lui fit remettre 50 écus et un pourpoint doré. Dans sa lettre de remercîmens, le pamphlétaire, avec son impudence habituelle, réclama aussi pour son nouvel allié une gratification en alléchant le marquis par la perspective d’un autre cadeau : « Je vous rappellerai encore que vous pensiez à vos promesses faites à Titien, à propos de mon portrait que je vous ai fait donner. Je crois que Messire Jacopo Sansovino, rarissime sculpteur, vous ornera votre chambre d’une Vénus si vraie et si vivante qu’elle remplit de concupiscence la pensée de tous ceux qui la regardent… » La réponse du marquis à cet honnête courtier fut froide et brève : « Je ne manquerai pas de donner sous peu à Titien quelque témoignage par lequel il pourra connaître en quelle estime je le tiens et combien il m’a fait plaisir. » Dans cette circonstance, comme dans bien d’autres, l’intervention de l’Arétin avait failli gâter l’affaire, et l’on ne s’expliquerait pas que Titien y eût désormais si fréquemment recours si l’on ne connaissait par ses contemporains la douceur de son caractère, son amour du repos et son goût pour l’argent, en même temps que l’infatigable activité, le génie d’intrigue, la souplesse cynique de son habile compère.

Quoi qu’il en soit, la cordialité de ses rapports personnels avec le marquis n’en fut pas altérée. Toutes les lettres qu’il lui adressa respirent une vive reconnaissance exprimée en termes simples bien différens des formules obséquieuses dont il se servira plus tard vis-à-vis des monarques espagnols. Parmi ses protecteurs princiers, c’est Frédéric qui semble vraiment lui avoir inspiré le plus d’affection et dont le jugement lui ait paru le plus précieux ; il l’appelle souvent son vrai, son rare patron, padrone singularissimo. Il faut dire qu’il en reçoit sans cesse des cadeaux en nature et en espèces, et des attentions et faveurs « continues et infinies. » En 1530, il a pour lui trois tableaux sur le chantier, son Portrait, une