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Vierge avec sainte Catherine, des Femmes au bain. Il travaillait alors aussi pour sa mère Isabelle ; c’est à ce moment que se place une anecdote curieuse et qui peint bien les mœurs du temps.

Au mois d’octobre 1529, Charles-Quint et Clément VII s’étaient donné rendez-vous à Bologne pour y régler le sort de la malheureuse Italie. La conférence se prolongea jusqu’au mois de mars de l’année suivante. Est-ce à ce moment que Titien fut présenté à l’empereur ? On n’en a point de preuves, mais ce qu’on sait, c’est que son aimable patron, le marquis de Mantoue, qui joignait à ses qualités d’amateur éclairé l’habileté d’un diplomate ambitieux, se montra des plus empressés auprès du vainqueur ; en échange de son humilité, il obtint bientôt le titre de duc. Covos, le premier secrétaire d’état, l’avait beaucoup servi dans cette affaire. Il parait que ce ministre, dont la passion pour les œuvres d’art ressemblait fort à une avidité mercantile, s’était, dans l’intervalle de ses travaux politiques, laissé tourner la tête par les charmes d’une dame d’honneur de la comtesse Pepoli, une certaine Cornelia. Le marquis estima qu’un des plus sûrs moyens de faire sa cour à Covos serait de lui offrir le portrait de sa beauté. Dans les premiers jours de juillet 1530, il envoya à Titien ordre d’aller à Bologne. Titien, mal portant, ayant sa femme malade, quitta tout, sans hésiter, et se présenta quelques jours après chez la comtesse Pepoli. Quelle ne fut pas sa surprise de s’y trouver face à face avec le sculpteur Bologna, qui, gravement indisposé lui-même, les mâchoires enflées, avait dû, de son côté, sur un ordre semblable, quitter son lit en toute hâte et faire à cheval une longue course, par une chaleur suffocante ! Dans sa précipitation à mettre à exécution une idée qui lui semblait excellente, le duc n’avait même pas pensé à prendre les informations les plus indispensables. Pour compléter l’aventure, la belle Cornelia n’était plus à Bologne : atteinte des fièvres, elle avait dû partir dans la montagne. Les deux artistes, fort mécontens, écrivirent au duc des lettres assez vives : « Cette dame n’est pas à Bologne, lui disait Titien. Madame Isabelle l’a envoyée à Nivolara pour changer d’air, parce qu’elle a été malade. On dit même qu’elle a été un peu gâtée par la maladie. Ce que sachant, j’ai craint de ne rien faire de bien… De plus, je suis vaincu par la grande chaleur et aussi un peu par le malaise et, afin de ne pas tomber tout à fait malade, je n’ai point passé outre… D’ailleurs ces aimables dames m’ont si bien imprégné des traits de Cornelia que j’oserais bien la faire de façon à ce que tous ceux qui la connaissent disent que je l’ai portraite maintes fois. Vous n’avez qu’à m’envoyer à Venise ce portrait déjà fait par un autre peintre. Une fois le mien fait, s’il y