Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même temps au milieu de l’illustrissime cité de Milan. » En terminant, Titien supplie le roi de lui donner une preuve de sa bonté en faisant poursuivre avec énergie le malfaiteur : « Si Orazio était mort, ajoute-t-il, je vous le jure, je serais mort, moi aussi, de douleur, car dans ma vieillesse impuissante, j’ai placé toute mon espérance et toute ma vie dans sa santé. » Cette douleur est d’autant plus touchante que l’affection de Titien pour son fils cadet, son collaborateur fidèle, était plus profonde et plus délicate. Il nous est resté une lettre écrite à Orazio peu de temps auparavant, où cette affection s’exprime en termes d’une sollicitude toute maternelle : « Orazio, les retards à m’écrire m’ont causé bien des inquiétudes… À ce que m’écrit Sa Majesté, son désir est d’aller à Gênes. Si tu penses de bien faire en y allant, tu peux mieux le juger que moi, mais, si tu y vas, prends bien garde de ne pas chevaucher par la chaleur et si tu peux y aller en deux jours, mets-en quatre… » Philippe II ordonna qu’on instruisît promptement l’affaire de Leoni. Par malheur, l’organisation de la justice laissait à désirer autant que l’administration des finances ; à distance, les juges n’obéissaient pas mieux que les trésoriers. Quelques mois après, en lui envoyant l’Actéon et la Calisto, le vieillard s’en plaignit amèrement sans manifester de grandes illusions à cet égard : « Mon fils est rentré à la maison et il n’y a plus personne à Milan qui se puisse opposer aux ruses, intrigues, corruptions de ce criminel. » En effet, Leone Leoni, fastueux et prodigue, grand donneur de fêtes, grand distributeur de cadeaux, batailleur, insinuant, spirituel, s’était fait en Lombardie un grand nombre de protecteurs influens. Mis d’abord en liberté provisoire, il en fut bientôt quitte pour une condamnation à une amende et au bannissement. Les menaces de vengeance qu’il ne cessa de répandre alors contre Orazio et les tentatives de guet-apens qu’il ourdit à plusieurs reprises contre lui devaient bientôt forcer celui-ci à demander au conseil des Dix l’autorisation de ne plus sortir qu’en armes.

Ceci se passait en 1558. Durant toutes les années suivantes, on voit, de temps en temps, partir de l’atelier de Biri-Grande une caisse avec des peintures pour le roi d’Espagne. Outre les tableaux mythologiques déjà cités, ce sont successivement une Déposition de croix, une Adoration des mages, un Christ au jardin des Oliviers, le Jupiter et Antiope, un Christ au denier, une Madeleine, une grande Cène, un Saint Jérôme, un Martyre de saint Laurent, des figures de fantaisie et des portraits. Toutes les commandes et les livraisons donnent lieu à de longues correspondances. Les colis n’arrivent pas plus sûrement que les lettres. Souvent les caisses restent indéfiniment en souffrance à Gênes ou à Barcelone. Une Déposition, entre