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auraient à leur demander pour la transformation de leurs armées sur le modèle prussien. Les populations méridionales, sans répudier la patrie allemande, vivaient au jour le jour dans une béate quiétude ; ne payant presque pas d’impôts, il leur répugnait d’endurer les charges de la paix armée et d’être englobées dans un grand état militaire. Loin d’appeler de leurs vœux une centralisation qui pouvait les conduire à une fusion avec la Prusse, elles défendaient pied à pied leurs traditions historiques. Elles tenaient à leurs usages, à leurs souverains, et n’admettaient pas que ce respect et cet attachement fussent inconciliables avec la grande patrie : « La famille, la commune, la province, la patrie restreinte et la grande patrie, écrivait un de nos agers, telle est pour l’Allemand l’échelle des sentimens, et s’il s’élève jusqu’au dernier échelon, c’est qu’il a conservé le souvenir des guerres et des invasions dont l’Allemagne a souffert et contre lesquelles il veut se prémunir. C’est dans cette double direction des esprits que l’on trouve la clé des contradictions apparentes dont l’Allemagne donne le spectacle. Tantôt on est porté à regarder l’unité comme faite, tantôt on se prend à croire qu’elle est un rêve impossible à réaliser. Il y a simplement deux courans en sens inverse dont la politique prussienne cherche à se rendre maîtresse[1]. » Au mois d’octobre 1867, le courant au-delà du Main n’était rien moins qu’unitaire. La diplomatie prussienne, pour amener les états du midi à consacrer leurs engagemens, avait dû dépenser d’immenses efforts. Elle ne pouvait se faire d’illusions sur leurs sentimens, elle avait entendu le cousin du roi de Wurtemberg, l’héritier présomptif, formuler à la chambres des seigneurs de significatives réserves. « Nous n’avons signé les traités d’alliance, avait-il dit, que pour échapper à une occupation étrangère, pour n’être pas démembrés ; ne pas les ratifier serait violer nos engagemens. Mais je suis d’avis qu’il y aurait péril pour le pays à se prêter à de plus amples concessions. L’avenir nous dira si nous pourrons en rester là. Les moyens, en tout cas, ne feront pas défaut au gouvernement pour se mouvoir strictement dans la limite de ses obligations. »

M. de Varnbühler était trop avisé pour ne pas tenir compte de réserves parties de si haut et pour ne pas virer de bord en face d’un courant populaire si nettement accusé. Les contradictions ne l’arrêtaient pas, il était le moins doctrinaire des hommes; il savait se retourner promptement. Dès le lendemain du vote il modifia son langage ; il reconnaissait que ceux qui réclamaient l’autonomie étaient de beaucoup les plus nombreux ; il entendait partir en guerre, résister aux tendances prussiennes, combattre les candidats allemands, il se

  1. M. de Laboulaye, aujourd’hui ambassadeur de France à Madrid.