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Leurs habitudes, pour leur enseigner les industries utiles et les arts de la paix. Il est plus facile d’inspirer l’horreur de la guerre à ceux qui reçoivent les coups qu’à ceux qui les donnent.

Lorsqu’il arriva chez eux, ils étaient encore à demi nomades, et leur ignorance les exposait à de cruelles famines. Il les rendit sédentaires et agricoles. « Avant moi, écrivait-il dans les dernières années de son séjour, il n’y avait pas une charrue dans le pays ; il y en a aujourd’hui des milliers ; jadis, c’étaient les femmes qui labouraient ; aujourd’hui les hommes s’en mêlent. » Tout autour de la station, la terre était peu grasse ; rien ne venait à bien sur un sol léger, sablonneux, qui demandait d’abondans arrosages. Les Betchouanas n’avaient aucune idée de l’irrigation artificielle, ils ne tiraient aucun parti de leurs sources et de leurs ruisseaux. Moffat se donna des peines incroyables pour pratiquer des rigoles, pour dériver l’eau de la rivière voisine, pour l’amener dans le jardin potager qui entourait son humble maison. La première pensée de ses ouailles fut de lui voler son eau, de détourner son canal. Ils s’avisèrent, plus tard, que l’exemple du jardinier d’Ormiston était bon à suivre, ils se mirent comme lui à irriguer leurs champs. Ils s’étaient fort étonnés, au début, en le voyant transporter et répandre sur ses planches d’oignons et de salade tout le fumier de ses étables. Ils supposèrent d’abord que c’était un sortilège inventé par les blancs pour jeter un charme sur la terre, ils préféraient s’en tenir à la méthode de leurs aïeux, qui consistait à mâcher une certaine racine et à cracher sur les feuilles des arbres qu’on désirait féconder. Ils découvrirent à la longue que les champs fumés rapportaient beaucoup plus que les autres, que si les blancs ne possédaient pas le secret de rajeunir les vieillards, ils s’entendaient à rajeunir la terre, et on vit bientôt les plus endurcis fétichistes transportant, à des d’homme ou de bœuf, de l’engrais dans leurs jardins. L’un d’eux dit à Moffat : « Faut-il que nous soyons bêtes pour avoir refusé pendant des années de croire à ce que voyaient nos yeux ! »

Dans la meilleure page de son livre, M. John Moffat a résumé en quelques lignes l’œuvre accomplie par son père ; il nous montre les Betchouanas de la vallée du Kuruman transformés par ses soins assidus et par sa foi persévérante. Chaque soir, on se rassemblait sur une éminence qui domine la station. Les pères missionnaires y occupaient chacun sa place accoutumée, de grosses pierres leur servaient de sièges. Sous leurs yeux s’étendait la large vallée, jadis marécage plein de joncs, et maintenant couverte de cultures, distribuée en jardins. De toutes parts couraient des rigoles ombragées de saules gris et de syringas d’un vert sombre. En bas était l’église avec les bâtimens et les écoles de la mission ; sur les hauteurs étaient perchés les villages des indigènes, composés pour la plupart de huttes rondes ou coniques,