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les manufacturiers d’Angleterre. On en connaît qui représentent aux sauvages que, pour être un bon chrétien, il faut non-seulement se bien nourrir, mais se vêtir convenablement, et que les seules cotonnades tout à fait orthodoxes, tout à fait agréables au Seigneur, sont celles qui se fabriquent à Manchester,

Robert Moffat ne fut jamais un voyageur de commerce. On lui reprocha, il est vrai, d’avoir fait ouvrir par sa femme un bazar où il vendait des étoffes anglaises aux indigènes. Il fallait vivre ; le traitement que lui allouaient ses directeurs était fort exigu, ne suffisait pas à ses besoins, à la subsistance d’un missionnaire marié, à qui Mary Smith faisait beaucoup d’enfans. On l’accusa aussi d’avoir expédié au Cap toute une cargaison d’ivoire. La meilleure réponse qu’il put faire aux médisans fut de rester pauvre ; à son retour en Angleterre, il fallut ouvrir une souscription pour assurer le repos de ses vieux jours. Toutefois, si occupé qu’il fût de catéchiser ses ouailles, il était fort attentif à leurs intérêts temporels. Il ne se contentait pas d’engager les Betchouanas à s’approvisionner de charrues, il leur remontrait qu’il est fort indélicat de paraître nu dans la maison du Seigneur, que les justes qui se tiennent devant le Trône et devant l’Agneau sont vêtus de robes blanches, et il les exhortait à s’habiller dès ici-bas. « En 1829, nous dit son fils, les chants païens avaient fait place aux cantiques de Sion et au murmure des prières, et les indigènes, honteux de l’indécence de leur costume, se procuraient volontiers des vêtemens européens, que leur apportaient des commerçans d’occasion. » C’est ainsi que dans ce monde tout se tient et que la piété travaille pour les fabricans de cotonnades.

Le missionnaire, a-t-on dit, arrive le premier, sa Bible à la main ; derrière lui, paraît le marchand avec sa quincaillerie et ses étoffes ; après le marchand, viennent le colon, puis le gouverneur et ses soldats, et l’Angleterre ajoute à son immense empire une colonie de plus. Si la colonie du Cap, débordant de toutes parts ses étroites limites, s’étend aujourd’hui jusqu’au Fleuve-Orange, les missions et les sociétés bibliques y sont assurément pour quelque chose. Les missionnaires vont à la découverte, ils explorent les contrées, ils reconnaissent les lieux ; ce sont de précieux informateurs, leurs stations sont des bureaux de renseignemens. Si les tribus chez lesquelles ils s’établissent vivent encore dans l’état sauvage, ils s’appliquent à les domestiquer, ils adoucissent leur naturel farouche, ils les accoutument à regarder sans défiance des faces blanches, ils apprivoisent leurs inquiétudes, Ce sont eux qui préparent les voies, qui essuient les plâtres, et, quand arrive le gouverneur, la maison est presque habitable.

Robert Moffat fut toujours un bon chrétien et un chaud patriote. La Grande-Bretagne lui était aussi chère que sa Bible, et il se montra