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reconnaissant. » Heureux habitans des îles Seychelles, vous serez initiés avant peu à toutes les controverses d’une théologie contentieuse, à ses aigres discussions, à ses disputes de boutique ! Il faudra faire votre choix et vous en serez réduits à jouer votre salut à pile ou face, ou peut-être tirerez-vous au doigt mouillé à qui aura votre âme.

Une autre épreuve fut épargnée à Robert Moffat : il ne devint jamais assez puissant pour avoir le cœur enflé et l’esprit dominateur. Si Mosilikatsé, roi des Motabelis, l’avait pris pour son conseiller ou son premier ministre, il aurait goûté les douceurs du gouvernement, la joie d’être obéi par tout un peuple ; mais, pour conserver son influence, il aurait dû s’aider d’un peu de charlatanerie et de beaucoup d’intrigue ; il n’a jamais échangé la houlette du bon berger contre la verge des magiciens de Pharaon. Il enviait parfois les triomphans succès obtenus par ses confrères dans la grande île de Madagascar ; il avait tort, les siens étaient plus modestes, mais beaucoup plus respectables. Nous avons vu à l’œuvre ces missionnaires de Tananarive pendant nos démêlés avec les Hovas, qu’ils animaient contre nous par de faux rapports, par des promesses mensongères. Leurs lieux de prière étaient des officines de nouvelles controuvées, d’impudentes calomnies, et, s’il n’avait tenu qu’à eux, le gouvernement anglais aurait envoyé des cuirassés à Tamatave pour y venger l’injure imaginaire de ces proconsuls spirituels, à la longue redingote.

Un gouvernement qui épouserait en aveugle toutes les jalousies et les querelles de ses missionnaires s’exposerait à de grands embarras ; mais il encourt de graves reproches lorsque, insensible au profit qu’il peut tirer de leurs courageuses entreprises, il leur retire son aide et son patronage. Le devoir d’un homme d’état est de compter avec tout ce qui est fort et agissant, avec toutes les puissances morales, et de s’en servir dans l’intérêt de sa politique. Toutes les nations protègent activement leurs missionnaires ; si la France, oublieuse de son passé, renonçait à protéger les siens, elle donnerait beau jeu à ses ennemis. Notre gouvernement a prouvé en Chine et au Tonkin qu’il entendait demeurer fidèle aux vieilles traditions de la politique française, dont les fanatiques de la libre pensée l’engagent à s’affranchir. Sa résistance lui fait honneur. On a dit qu’il faut avoir quelque indulgence pour les sottises paisibles ; mais les sottises guerroyantes et funestes n’en méritent point, et un ministre des affaires étrangères ne saurait leur faire la moindre concession sans trahir son pays et les intérêts commis à sa garde.


G. VALBERT.