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derniers temps, sur Victor Hugo, et j’ai là, sous les yeux, deux ou trois livres récens dont je donnerais volontiers les titres, s’il n’était plus poli de les taire, puisque, sur le style et le rythme d’Hugo, aucun d’eux ne nous en apprend tant que les quelques pages de M. Faguet. Je regrette seulement qu’il ait assez brusquement tourné court et qu’après avoir étudié les rythmes d’Hugo à l’intérieur des vers ou de la période, il ne les ait pas étudiés dans les grandes pièces, et au sens le plus large, le plus étendu du mot, tels qu’ils enchaînent ou qu’ils entraînent dans leur mouvement non plus les vers ou la période, mais les strophes elles-mêmes toutes ensemble. Un vers a son rythme, une strophe a le sien, et un entrelacement de strophes l’a aussi.

N’est-il pas malheureux « que cet homme n’ait pas en assez d’idées pour soutenir ses incomparables prouesses d’élocution ? » M. Faguet n’a pas craint de se poser la question, et, du moment qu’il se la posait, on devine la réponse ; M. Faguet n’est point de ceux qui prennent Hugo pour un penseur. En fait d’idées, non-seulement Hugo n’en a eu que de poétiques, mais encore on peut dire qu’une fois dépouillées de la magnificence de leur forme, il n’en a eu ni beaucoup, ni de très originales, ni de très personnelles : « Il possède la faculté de penser en lieux-communs, dit spirituellement M. Faguet ; celle d’avoir d’instinct, naïvement, et avec cette joie intime que donne à d’autres une découverte ou un paradoxe, la pensée de tout le monde sur un sujet donné. » Je trouve ici M. Faguet un peu sévère aux lieux communs, qui pourraient bien être, après tout, l’étoffe de la poésie comme de l’éloquence, mais, en ce qui touche l’invention des idées chez Hugo, force m’est bien de l’approuver, — et même de le copier : « L’amour n’a qu’un temps, » c’est la Tristesse d’Olympio ; « tous les hommes sont mortels, » c’est Zim-Zizimi, Pleurs dans la nuit, etc., « l’homme est plus grand que ce qui le détruit, » c’est l’Épopée du ver ; M. Faguet a raison ; ce sont bien là les thèmes ordinaires, les thèmes préférés d’Hugo, ceux que le prestige de son art se complaît à transfigurer, quand encore ce n’est pas, sans tant de frais ni de réflexions, l’événement du jour ou de la veille : l’arrestation de la duchesse de Berri, le bal de l’Hôtel-de-Ville, le retour des cendres de Napoléon. D’ailleurs absolument étranger à la science de son temps, aquafortiste distingué, ce dit-on, mais indifférent à l’art, à la philosophie, n’ayant vu dans les questions sociales dont le siècle est agité qu’un prétexte à déclamations creuses, presque hostile aux idées et à ceux qui en ont. « Dans son Mirabeau, dans son William Shakspeare, s’il n’a pas d’idées, du moins il rencontre sur sa route celles des autres. Il pourrait s’en inquiéter, les examiner, au moins les citer. Il les évite. » On n’est pas plus pauvre de son fonds, ni moins curieux de l’enrichir. Et c’est encore ce que M. Faguet aura dit ; et tellement à propos que je ne veux pas rechercher aujourd’hui si